« JE VOUDRAIS ÊTRE VOTRE AMI(E) »

Ça y est, j’ai sauté le pas, je me suis ouvert une page Facebook. J’ai mis quelques photos, donné quelques indications bio, limité les accès à « mes ami(e)s », et attendu que ceux-ci veuillent bien se présenter… Ils ont fini par venir, tout doucement, presque timidement. Annoncés par un mail en forme de carton d’invitation.  »« X. vous a ajouté en tant qu’ami(e) sur Facebook. Confirmez que vous connaissez X. pour… » » J’ai confirmé tout ce qu’on voulait.

__ »« C’te honte d’avoir mon père sur Facebook … » »__ D’abord, ça été ma propre fille, la petite dernière, 15 ans, qui m’a douché d’entrée :  »« C’te honte d’avoir mon père sur Facebook … » » Bon d’accord, c’était pour rire, mais tout de même ! Puis d’autres ont suivi. Des ami(e)s de ma petite dernière, ma fille aînée, une amie de ma fille aînée… Aujourd’hui, j’aligne fièrement mes 10 ami(e)s (ma petite mioche en a 236, et ses copines à l’avenant ! ) Tranche d’âge entre 15 et 27 ans. J’ai essayé de me chercher des amis de mon âge. Mais là, dur de dur ! Je n’ai trouvé que ma belle-sœur qui voulait tester le zinzin pour garder un lambeau de contact avec son rejeton parti étudier au Québec. Les autres, ceux de ma génération, euh ben… c’était surtout des leçons de morale et de déontologie assez élimées, sur l’amitié vraie, les relations profondes et patati et patata… __ »« Je préfère me faire examiner la prostate qu’avoir une page Facebook » »__ Certains témoignent d’une assez surprenante glaciation mentale, due possiblement à l’accumulation assez pesante des ans et de leurs tracas :  »« Je préfèrerais me faire examiner la prostate en direct à la télévision par un type aux mains bien froides qu’avoir une page Facebook » » (Georges Clooney, 48 ans, acteur). À les en croire, Facebook, c’est le diable des relations superficielles, la décadence par le virtuel, une énorme caméra à 360° qui vous traque l’humain jusqu’au fond des cabinets. Pourtant, je me rappelle, les villages de mon enfance… Le mal que pouvait y faire la moindre rumeur, la moindre tache malveillante sur une réputation aussitôt pointée du doigt par la collectivité ! En fait, on apprenait vite à déjouer le piège des ragots et des médisances. On savait garder et faire respecter ses distances. Est-ce pire, aujourd’hui, dans « le village » planétaire de Facebook ? Le nombre ne désamorce-t-il pas le nombre ? Ce qui m’est apparu quand j’ai débarqué sur ce nouveau lieu de rendez-vous avec mes gros sabots de quinquagénaire, c’est que les jeunes maîtrisaient parfaitement l’outil. Ne livraient que ce qu’il est décent de livrer en public (comme dans les villages de jadis, en somme). Ils n’ont pas de ces paranoïas qui paralysent leurs aînés. __De jeunes chiots qui jouent et roulent…__ Ils ne cherchent pas une profondeur, mais bien plutôt une légèreté ; s’expriment en phrases courtes et directes, à l’orthographe approximative ; souvent même par onomatopées ou symboles :  »« Goulougoulou ♥… loOL xD » ». On y lâche des photos surjouées, mise en scène avec la méticulosité fiévreuse des danses de séduction. Et puis, on s’aime beaucoup et à répétition sur Facebook :  »« Tu me mannnnnnnques trop ! Il faut qu’on se revoit. Je t’aime ma chérie. » « Toi aussi, ma chérie, je reve de te sauter dans les bras, tu me manque tant ♥ » » Mais peu de connotations sexuelles dans ces « je t’aime » transis. Plus des « je t’aime » d’amitié que des déclarations d’amour torrentielles. D’amitié furieuse. Ce qui frappe sur Facebook, c’est cette quête frénétique d’amitié. De jeunes chiots qui jouent, roulent les uns sur les autres, comme dans une meute. Je me suis demandé pourquoi ils et elles m’avaient introduit dans leur cercle. Nous ne parlons pas souvent ensemble. Ils m’ont ajouté à leur liste d’amis et puis voilà. Ils continuent leurs échanges entre eux. J’ajoute sur mon espace quelques citations, quelques photos… Peut-être voudraient-ils juste que je sois témoin de leur monde à eux. Ou être les témoins de mon monde à moi. Fragile passerelle qu’il m’intimide de franchir. Et eux ? Je me sens comme un vieil angelot suranné sur le papier peint d’une immense chambre en fusion.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.