Impuissance de la sidération : l’exemple du Brésil de Bolsonaro

MG/BELO HORIZONTE/15-09-2017/PRIMEIRO PLANO/PALESTRA DO DEPUTADO FEDERAL JAIR BOLSONARO NA FUMEC. FOTO: FLAVIO TAVARES/JORNAL HOJE EM DIA

Beaucoup de cris indignés après la victoire de Bolsonaro à la dernière présidentielle brésilienne. Mais cette indignation cache mal une sidération qui est la marque de  l’impuissance.

La victoire de Bolsonaro, après la mise sous séquestre organisée de Dilma Rousseff et de Lula, c’est juste une bataille remportée par un empire US vacillant qui tente de reconquérir des territoires perdues. Et qui se fout comme de l’an 40 des règles démocratiques dès lors que celles-ci ne lui sont pas ou plus favorables.

La démocratie occidentale, un verni grossier pour rendre présentable le pouvoir des castes

La démocratie à l’occidentale, c’est-à-dire le fait majoritaire de masses aisément manipulables, n’a jamais été qu’un grossier verni pour rendre présentable le pouvoir des castes (aux États-Unis, champions autoproclamés de la démocratie, ce furent de tout temps les milieux financiers qui choisirent leurs candidats aptes à concourir aux élections devant le peuple).

Que les majorités en viennent à ruer dans les brancards et les castes se passent aisément de la démocratie : soit en faisant donner leurs médias de propagande (ah, les couvertures des médias français en faveur de l’outsider Macron avant la présidentielle française de 2017 !) ; soit en discréditant (perquisitions chez Mélenchon « le bolivarien ») et même en emprisonnant les membres d’une opposition jugée trop contraire à leurs intérêts de caste ; soit en se passant carrément du vote des électeurs (le Chili d’Allende, l’Europe de l’UE post-référendum de 2005).

Que les observateurs et militants politiques n’aient pas encore pris conscience de cette grossière supercherie est étonnant. Et les voir aujourd’hui réagir par la sidération et la vaine indignation quand le verni tombe, comme dimanche au Brésil, est préoccupant.

Faiblesses et forces du vieux monde

C’est une guerre qui est en cours aujourd’hui. Et on ne mène pas une guerre en hurlant de douleur et d’impuissance, en s’épuisant à jeter à la tête d’ennemis qui n’en ont rien à foutre des slogans aussi éculés et vains que « fascistes » ou « homophobes » (le nouveau marqueur politique à la mode).

Une guerre se mène en pleine connaissance de la situation, avec calcul et intelligence, en mesurant les forces et les faiblesses du camp d’en face. Or les faiblesses du vieux monde sont criantes : un verni démocratique en charpie qui ne devrait plus abuser, un système économique et financier moribond, des dirigeants politiques et une oligarchie en pleine dégénérescence (Trump, Macron, Bolsonaro, les éditocrates et leur propagande de plus en plus grossière…).

Ne reste plus guère au vieux monde pour faire encore illusion que la force brutale, policière et militaire. Or l’histoire montre que les empires à qui ne reste que la force pour survivre sont en phase finale de désintégration. Bolsonaro n’est qu’un des épiphénomènes de cet effondrement, une des réactions brutales de la bête occidentale blessée. Qui croit encore que celle-ci va disparaître sans causer son lot de dégâts et de tragédies ?

Suivre l’exemple de Poutine

On peut comprendre la rage et le découragement des populations devant la lenteur de cette douloureuse mutation vers un monde d’après encore si incertain. Mais plutôt que de perdre ses forces à crier sa colère et son désarroi, le mieux est encore de suivre l’exemple de la Russie de Vladimir Poutine. Regardez bien comment se composent les forces militaires de l’ennemi n°1 de l’empire : d’un armement essentiellement défensif avec lequel Poutine, joueur d’échec sachant que la défense vaut souvent l’attaque inconsidérée, tient en respect des adversaires pourtant bien plus lourdement armés que lui (budget de la défense US : 420 milliards de dollars contre 20 milliards pour la défense russe).

Regardez bien les autres points forts du « nouveau tsar » : sa patience, son calme, l’intelligence de toute son équipe (mettez face à face les deux ministres des Affaires étrangères que sont Lavrov et Le Drian, et vous verrez qu’il n’y a pas photo sur le fossé séparant le premier de son si piètre second). Croyez-vous que Poutine et Lavrov ne sont pas lucides devant l’état de délabrement des démocraties occidentales ? Croyez-vous que ces deux-là vont se lancer dans un déluge d’indignation incontrôlée face aux sanctions dont on accable leur pays ? Croyez-vous, comme veut nous le faire croire la basse-cour de nos éditocrates déjantés, qu’ils vont céder à la moindre provocation en se lançant dans des offensives inconsidérées (et suicidaires) contre le camp occidental ? Non, ils vont juste veiller à sécuriser leur positions, à parer aux coups vicieux bolsonariens, à ne porter que des coups assurés contre leurs adversaires (peu avare d’ironie, Poutine dit « partenaires ») en attendant que la bête blessée succombe.

Ce sont ces qualités de patience, de lucidité, de calme et d’intelligence, cette stratégie du calcul froid que chacun d’entre nous devrait s’efforcer de mettre en pratique pendant la (trop longue) période mouvementée, avec son lot de sinistres Bolsonaro, que nous allons traverser. Le reste n’est que perte de temps et d’énergie.

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