Il n’y avait rien d’atypique dans l’intolérance télévisée de l’ex-président Nicolas Sarkozy – le discours raciste est la norme en France

Nabila Ramdani est  journaliste, chroniqueuse et animatrice franco-algérienne plusieurs fois primée, spécialiste de la politique française, des affaires islamiques et du monde arabe, publiée régulièrement dans la presse britannique. Le yetiblog partage entièrement le point de vue exprimé ci-dessous par Nabila Ramdani (publication initiale : ArabNews) et regrette les dérives d’intellectuels français en pleine déroute. Mais n’est-ce pas le propre des effondrements que d’être accompagnés de tels égarements ?


Quand un récent président français apparaît dans un programme de discussion télévisé en essayant de justifier l’utilisation d’un langage raciste, il est clair que le pays a un problème très sérieux d’intolérance institutionnalisée.

Nicolas Sarkozy, qui semble de plus en plus plongé dans le désarroi, n’a pas hésité à prononcer les mots « nègre » et « singe » à propos des noirs sur TMC, chaîne grand public de TF1, le plus puissant diffuseur national de France.

L’essentiel de l’argument formulé ce mois-ci par cet homme de 65 ans était qu’une élite libérale empêche les gens de recourir à des insultes racistes – une complainte fréquente chez les démagogues désireux d’attiser l’animosité envers les minorités ethniques.

Les mythes sacrés de la « liberté d’expression » et du « droit d’offusquer » sont évoqués, malgré la législation française, théoriquement stricte, visant à empêcher les discours discriminatoires.

Quand il s’agit d’une terminologie en principe interdite, destinée à mettre au pilori les personnes d’origine africaine ou musulmane (ou les deux), les délinquants reçoivent généralement un laissez-passer.

D’où l’autorisation donnée au magazine Charlie-Hebdo de publier une caricature de l’ancienne garde des sceaux Christiane Taubira, qui est noire, en singe, par exemple.

Dessin de Christine Taubira représentée en singe par Charlie-Hebdo (novembre 2013)

Ces caricatures ne représentent rien d’autre qu’un racisme brutal, genre dénominateur commun le plus bas, mais elles restent étonnamment populaires dans un pays qui dirigeait autrefois un vaste empire colonial.

La diabolisation incessante des musulmans par Charlie-Hebdo a tristement conduit à une série de meurtres terroristes ignobles du personnel de ce magazine en 2015 – meurtres qui font actuellement l’objet d’une procédure judiciaire.

Les hommes armés responsables de ces outrages ont eux-mêmes été abattus, mais des complices présumés sont en ce moment jugés à Paris pour avoir fourni la logistique, y compris des armes, rendant possibles ces crimes odieux.

Pendant ce temps, Charlie-Hebdo continue d’imprimer des contenus haineux à partir d’un quartier général secret et bien gardé, avec le plein soutien de l’État sécuritaire français – un fait qui tourne en dérision l’argument de Sarkozy.

La vérité est que l’establishment laïc autoproclamé du pays regorge de fanatiques qui se réjouissent de la possibilité de ridiculiser et d’humilier les communautés ethniques minoritaires perçues comme « étrangères ».

Le minuscule Sarkozy était notoirement réactionnaire pendant sa présidence et avant cela, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur et qu’il qualifiait les jeunes de banlieue à la peau foncée de « racaille » qu’il décrasserait au « Kärcher », du nom de la marque d’un jet de nettoyage à grande puissance.

Il a également introduit un débat sulfureux sur l’identité nationale, permettant aux partisans de droite d’exprimer leur point de vue sur « les valeurs françaises, le patriotisme et les minorités » en utilisant le genre de termes qui répandent les préjugés de la manière la plus grossière possible, y compris sur un site officiel du gouvernement et dans les mairies.

Au-delà de la simple cruauté, la raison principale de ce débat était que Sarkozy faisait la chasse aux électeurs du Front national, le parti d’extrême-droite aujourd’hui connu sous le nom de Rassemblement national.

Par ailleurs, ces électeurs illustrent la manière dont un grand nombre de Français s’orientent vers la pensée et l’expression racistes, au point de ne même plus prendre la peine de le cacher.

En plus de Jean-Marie Le Pen, qui a été condamné pour racisme et négationnisme et qui a fondé le parti, il y a des milliers de membres de ce mouvement, et même des millions d’électeurs, qui méprisent quiconque pourrait avoir un lien avec des pays étrangers qui, prétendument, menaceraient ce qu’ils définissent confusément comme la culture française.

C’est la fille de Le Pen, Marine Le Pen, qui dirige désormais le parti dynastique, et elle est arrivée deuxième lors de la dernière élection présidentielle derrière Emmanuel Macron, malgré sa propre association avec l’extrémisme.

La base électorale de Le Pen est certainement celle que Sarkozy a tenté de courtiser pendant son mandat unique, et il ne fait aucun doute que Macron essaie de faire la même chose.

Son nouveau ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est un autre type trapu qui est tout aussi hyperactif et agressif que Sarkozy. Les groupes que Darmanin a rendus furieux comprennent des féministes, en raison d’une série d’allégations concernant des pratiques sexuelles répréhensibles. Beaucoup estiment que la menace de poursuites judiciaires pour les plaintes contre lesquelles il se défend avec véhémence l’a rendu plus brutal dans son approche de l’autorité.

Darmanin, farouchement de droite, était autrefois un membre du parti Les Républicains de Sarkozy et il se délecte de son image d’homme dur. Comme son ancien mentor, il est particulièrement antipathique envers les expressions ouvertes de la foi islamique – ce qui concerne quelque cinq millions de musulmans vivant en France.

Darmanin jouera désormais un rôle clé dans la formulation d’une nouvelle loi combattant ce que Macron a qualifié de « séparatisme » – en d’autres termes, la propagande stigmatisante selon laquelle les communautés minoritaires, et en particulier les musulmans, ne sont pas suffisamment intégrées.

Si cela ressemble effroyablement à l’avertissement de Sarkozy selon lequel l’islam est en quelque sorte incompatible avec les valeurs républicaines et que tout doit être fait pour lutter contre la prétendue « tyrannie des minorités », alors c’est bien l’intention.

Tout comme Darmanin, Sarkozy a de sérieux problèmes juridiques à craindre – le mois prochain, il deviendra le premier ancien chef d’État jugé pour des crimes présumés commis alors qu’il était en fonction. Ils concernent, entre autres, la corruption d’un juge et la tentative d’influencer illégalement une enquête pour fraude, et Sarkozy risque jusqu’à dix ans de prison s’il est reconnu coupable.

Sarkozy fait également l’objet d’une enquête sur une série d’autres infractions graves, notamment pour avoir accepté des millions d’argent sale du défunt dictateur libyen, le colonel Mouammar Kadhafi. Malgré le torrent de litiges, Sarkozy insiste sur le fait qu’il est innocent de toutes ces accusations.

Compte tenu de ces charges, il pourrait être approprié pour le conservateur en chute libre de réserver désormais ses déclarations pour sa défense, mais généralement, en France, cela semble toujours être le bon moment pour insulter et provoquer les minorités.

Nabila Ramdani

=> Source : ArabNews

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