Hôpital Pitié-Salpêtrière 1er mai : le témoignage de Johann Maheut

Johann Maheut était présent lors de « l’attaque » de l’hôpital Pitié-Salpêtrière dans l’après-midi du 1er mai. Il raconte.


Je suis l’une des 32 personnes interpellée mercredi 1er mai dans l’enceinte de l’hôpital de la La Pitié-Salpêtrière, pour participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences. Après 30h de garde à vue au Palais de justice de Paris, je découvre l’ampleur de ce qu’il s’est passé et la récupération politique largement relayé par certains médias. Voici donc de l’intérieur, ce que j’ai vécu.

Vers 16h, je suis avec des amis aux abords de l’hôpital, la manifestation est calme, nous sommes bloqués depuis quelques minutes, attendant de pouvoir continuer vers la place d’Italie. Nous supposons le cordon de CRS plus loin, hors de notre champs de vision.

Sans aucune explication ni sommation

Soudain et sans aucune explication, ni sommation, une pluie de palets lacrymogène s’abat sur l’ensemble de la foule compacte, pas moyen de reculer ni de fuir, nous subissons les lacrymogènes et ses effets. Autour de moi, pas de casseurs ni de supposés « blacks blocs », seulement des gens ordinaires de tous âges.

Alors que les gaz se dissipent, j’aperçois une amie soutenant une femme âgée (80 ans?) qui suffoque et crache, comme la plupart des personnes autour de moi et moi y compris. Elle me demande de prendre en charge cette femme pendant qu’elle essaie de retrouver ses lunettes perdues dans la panique générale. Je dirige cette femme à l’écart sur le trottoir, et je vois des dizaines de personnes se réfugier dans ce qui ressemble à l’entrée d’un complexe d’immeubles, d’un parking.

Une inconnue me propose du sérum physiologique pour l’administrer sur le visage et les yeux de la femme âgée, qui semble déjà aller mieux. Autour de moi ce ne sont que simples manifestants pacifistes qui tentent de reprendre leurs esprits, personne n’est masqué ou cagoulé. Mes amis arrivent et se réfugient eux-aussi dans cet espace, alors qu’à l’extérieur le camion à eau asperge les derniers manifestants qui tentent de fuir, les forces de police tirent au LBD à vue sur tout le monde et matraquent les personnes à leur portée.

Un responsable de la sécurité (reconnaissable au badge qu’il porte à sa veste) ainsi qu’une femme dont il dépend (après recherches, il s’agit de la directrice de l’hôpital Marie-Anne Ruder), devant le terrible « spectacle » auquel ils assistent eux-aussi, affirment au petit groupe qui s’est formé autour d’eux et dont je fais parti, que nous pouvons rester ici (ce que nous comprenons alors être l’enceinte de l’hôpital) à l’abri le temps que « ça se calme ». En leur présence quelques aides soignants sont descendus porter secours au manifestants apporter du sérum physiologique et prendre en charge les personnes les plus touchées par les gaz, la femme âgée a sans doute été prise en charge à ce moment car je ne l’ai plus revue par la suite, une infirmière donne un morceau de sparadrap à mon amie pour qu’elle répare ces lunettes brisées.

Je vois des personnes se faire gazer et matraquer

Quelques minutes passent, pendant lesquelles nous assistons aux violences gratuites des forces de l’ordre à l’extérieur, quand une ligne de CRS se forme au niveau de la grille du lieu où nous nous sommes réfugiés. La charge des force de l’ordre fait fuir tout le monde, je cours et j’entends dans mon dos des tirs de LBD. Je rappelle que personne n’est masqué ou cagoulé, il n’y a atour de moi que des manifestants pacifiques de tout âge. Tout le monde court et cherche à fuir dans le sens opposé de la charge, mais face à nous d’autres CRS apparaissent ainsi que les voltigeurs à moto, matraques et LBD à la main.

De chaque côté de ma fuite je vois des personnes se faire gazer et matraquer, jeter à terre et rouées de coups. Sous la panique, la seule issue semble cet escalier que d’autres ont déjà commencé à gravir, et donc je commence à gravir cet escalier mais sans vraiment réaliser où il mène. La peur m’incite à monter. J’entends les infirmiers parlementer avec les premières personnes arrivées devant la porte, aucune agressivité n’est proféré, seulement de la peur et de la panique.

D’en bas, les motards nous mettent en joue avec les LBD et hurlent de redescendre les mains sur la tête. Depuis la petite plate-forme de l’escalier, nous assistons encore au spectacle de personnes se faisant gazer, matraquer, alors qu’elles essaient de sortir les mains en l’air. Un CRS fera redescendre tout le monde, alors que j’arrive au bas de l’escalier, une partie de notre groupe ainsi formé est allongé au sol face contre terre, les mains sur la tête.

Commence alors notre interpellation et toutes les humiliations qui vont avec. Nous remettons nos pièces d’identité, puis la palpation commence, un par un. La fouille ne donne rien, pas même un masque à gaz, tout juste quelques flacons de sérum physiologique, sans doute ce qu’un des aides soignants était venu offrir aux manifestants quelques minutes avant la charge. Les forces de l’ordre semblent déçues, elles n’ont pas affaire aux dangereux casseurs tant attendus.

Un policier : « Je tiens à vous dire que je suis choqué, dégoûté »

Très vite l’ensemble de la brigade se disperse pour discuter, s’allumer une cigarette et plaisanter. Celui qui semble être leur chef dit très clairement : « Vous m’embarquez tout ça pour participation à un groupement ! » puis discute calmement avec le responsable de la sécurité de l’hôpital et sa supérieure. Un des motard voltigeur casque à la main s’approche et nous dit : « Je tiens à vous dire que je suis choqué, dégoûté, on voit bien vu vos profils que ça ne sert à rien de vous interpeller. On mobilise cinquante personnes pour vous surveiller alors que dehors 300 blacks blocks sont en train de tout détruire et qu’on a besoin de nous en renfort ailleurs. »

Effectivement, la vingtaine de motos des voltigeurs est alignée bien tranquillement le long du mur, les hommes ont retiré leurs casques et attendent. Ils resteront là comme cela une bonne demi-heure, jusqu’à ce que nous soyons emmenés dans un bus à l’ancien palais de Justice de Paris, quai de l’Horloge, sur l’île de la Cité. Dans le bus, l’ambiance est détendue même si chacun se demande ce qu’il va nous arriver, nous n’imaginons pas encore la garde à vue.

Mon voisin Jacques est un homme de 67 ans, celui que l’on voit sur la vidéo de l’aide soignant en train de parlementer et dire qu’ils souhaitent qu’ont les laisse rentrer parce qu’ils ont peur de la police. Comme vous le voyez sur ma photo de l’intérieur du bus, le profil des interpellés est loin de la description faite par M. Castaner. Je n’ai jamais eu affaire aux services de police, et apparemment je ne suis pas le seul, tout le monde se demande ce qu’il va se passer, les rumeurs vont bon train alors chacun écrit le nom et le numéro de téléphone d’un avocat ou d’un proche au stylo sur ses avant bras…

Pour ceux qui le demandent je peux également relater le déroulé des 30 h de garde à vue.

Johann

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