Marrant, j’étais en train de vous mitonner un billet : « Pliée la crise financière et ses égarements lamentables… » Et puis je me suis rendu compte que je l’avais déjà écrit, ce billet. Le 7 octobre 2008, un de mes tout premiers sur Rue89. Pourquoi se casser, je vous le ressors tel quel. C’est parti…
7 octobre 2008 : de la crise financière à la crise de civilisation
Pour peu que nous prenions un peu de distance, que nous essayions d’examiner les faits avec des yeux débarrassés des schémas routiniers, et de quelques points de vue que nous envisagions les choses, une évidence se dessine peu à peu : ce à quoi nous assistons aujourd’hui avec l’effondrement du système financier mondial, pourrait n’être rien moins que la disparition d’une organisation, d’une civilisation.
Notre système économique capitaliste tel qu’il régie le monde depuis le début d » ». Il a atteint, je pense, un point de non-retour historique.
Le système capitalisme est né avec notre ère industrielle. Il n’est que la variante économique moderne de la course à la dominance qui est le propre de la plupart des comportements humains. Avant lui, émergèrent et prospérèrent bien d’autres organisations, bien d’autres « civilisations », dont les motivations n’étaient pas l’appropriation du capital, mais l’expression d’une volonté de dominance par la force militaire, par la maîtrise de la culture, ou encore au nom des religions. Toutes disparurent dans la nuit des temps.
Le capitalisme « financier » ne se préoccupa plus de produire des biens
L’organisation économique capitaliste pouvait à la rigueur se justifier (pour peu que n’entrent pas ici en considération les préoccupations de justice sociale) lorsque la machine industrielle avait à produire les biens et services vitaux pour les populations. Elle avait encore une raison d’être quand il se fut agi d’offrir un minimum de confort à ceux qui devenaient des consommateurs.
Mais les choses devinrent beaucoup plus critiques quand nous passâmes à la production du superflu, dans le seul but d’alimenter une machine qui ne souffrait pas de pause dans son mouvement vers l’avant. Un superflu si négatif qu’il assécha les ressources énergétiques de la planète et mit en péril nos conditions de vie.
Enfin, ces dernières années, cette course insensée franchit un pas décisif dans la folie. Le capitalisme, devenu désormais « financier », ne se préoccupait même plus de produire des biens et des services (pour la plupart devenus superflus comme on l’a vu), il fabriquait juste de l’argent.
Lors des précédentes alertes, le capitalisme dut son salut à quelques guerres « opportunes » (1914, 1939). Toutes les infrastructures matérielles et même humaines (la Shoah) étant en ruines, il y avait tout à reconstruire.
Nous avons dépassé les limites admissibles de ce développement
Et puis nous n’avions pas alors atteint encore le stade ultime de notre développement. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La formidable accélération des innovations technologiques nous a largement permis de franchir, et même de dangereusement excéder, les limites admissibles de ce développement. Sauf à disparaître, nous allons nécessairement devoir passer à un stade de gestion, de régulation de ce développement.
Dès lors, toute la raison d’être de l’organisation capitaliste, la croissance exponentielle, disparaît. Et une nouvelle guerre à l’échelle planétaire aboutirait plus sûrement à mettre en péril la survie de cette planète, qu’à fixer les bases dramatiques d’un nouveau départ.
Quid des pays dits émergents et de tous ceux qui ont un si impérieux besoin de développement ? Les exemples de la Chine et de l’Inde montre comment le modèle capitaliste peut se révéler insupportablement désastreux en termes d’écologie et d’épuisement des ressources énergétiques. Si l’on ajoute que le développement de ces pays dépend étroitement de leurs exportations vers les pays occidentaux, on mesure l’impasse dans lequel ceux-ci vont rapidement se retrouver, et la nécessité d’inventer avec eux de nouveaux modèles de développement.
Voilà pourquoi, j’ai la conviction que nous assistons aujourd’hui au début d’un bouleversement comme il n’en existe pas un par siècle, une révolution majeure de civilisation qui restera plus tard dans l’histoire de l’humanité. Dans les mois qui viennent, ma machine économique capitaliste va s’enrayer et caler.
De gré ou de force, nous devrons revoir nos modes de fonctionnement
De gré ou de force, nous allons devoir faire face à une situation de chaos à laquelle nous devons d’ores et déjà nous préparer à faire face. De gré ou de force, nous allons être contraints de revoir tous nos modes de fonctionnement, toute notre organisation, de remettre en cause toute notre grille de compréhension du monde et ce qui faisait nos valeurs (comme le travail, par exemple).
Nul ne sait par quelles péripéties douloureuses ou heureuses nous allons devoir désormais passer, ni combien de temps cette difficile période transitoire va durer, ni ce sur quoi nous allons déboucher (la propension naturelle des êtres humains à la dominance trouvera probablement encore à s’exprimer). Mais il semble tout à fait clair que notre monde capitaliste a vécu. L’effondrement financier en cours n’en est qu’un symptôme.
Pour finir, précisons au lecteur que le but de cette tribune n’est pas d’anticiper ce qui va advenir de nos sociétés par quelques prédictions exagérément optimistes issues d’une imagination enflammée, ou par l’expression hâtive de quelques terreurs récurrentes transformées en prophéties alarmantes. Il est d’essayer de prendre conscience le plus lucidement possible de la réalité d’une révolution fondamentale en plein déroulement.
Ça va péter !
Hého, coucou, c’est moi, je reprends la main ! Vous n’avez pas décroché ? Vous avez vu, pas loin du but, non ? Ne croyez pas que j’en tire fierté. Quand je relis ça, j’ai envie de pleurer.
Aujourd’hui, tout ça n’est plus une projection d’esprit échauffé, mais une réalité douloureuse que chacun pressent. Pliée la crise financière et ses égarements lamentables, bouclée, terminée. Il est grand temps de passer à autre chose. Même dans les milieux confits, ils l’admettent à mots de moins en moins ampoulés.
Christine Lagarde (oui, la nôtre) : << La dette des pays riches proche des niveaux de « temps de guerre ». >>
Olivier Blanchard (« chief economist » au FMI) : << La crise économique mondiale va durer au moins dix ans. >>
Dix ans ! Autant dire, « chais pas quand on va en sortir » ! Aujourd’hui, vous vous baladez au comptoir des bistrots, au Trésor public pour « solliciter » une échéance de paiement pour vos impôts, au guichet de votre banque pour négocier un surcroit de découvert, dans une queue de manif d’indignés un brin désemparés, toujours le même refrain à propos de la crise : ça va péter !
Ben ouais, ça va péter. Mais pourquoi s’affoler ? C’est comme ça. Ce que je sais, c’est que je ne vous ennuierai plus avec leurs fastidieuses péripéties financières en soins palliatifs, avec leurs tristes panouilles économiques sans issues. Désormais, nous ne parlerons plus que de nous, et de ce que nous allons devenir, d’accord ?