Gilets jaunes vs Mai 68 : similitudes, différences, leçons à tirer

Rien qui ressemble plus à un soulèvement social qu’un autre soulèvement social… tout en s’en distinguant radicalement. À ma gauche, Mai 68 ; à ma ni-droite-ni-gauche, les Gilets jaunes.

Les similitudes

Les similitudes entre Mai 68 et le mouvement des Gilets jaunes sont évidentes :

  • deux soulèvements populaires contre l’ordre politique et la pensée unique établis, une opposition de la rue aux pouvoirs institués ;
  • des mouvements sans leader : les leaders de Mai 68 ne furent que des constructions de l’ordre médiatique établi à l’époque ; l’icône Cohn-Bendit fut en réalité absent de la quasi totalité des évènements ; les autres étaient soient des responsables syndicaux bombardés sur le devant de la scène par la force des évènements (Geismar, Sauvageot), soit des grandes gueules qui n’étaient chefs que sur les plateaux télés ; quand à Romain Goupil, il n’a été promu « leader » que tout récemment vu qu’en 68, il était un boutonneux de 16 ans en classe de seconde ; bref, les « leaders » de Mai 68 étaient à l’époque ce que sont aujourd’hui les Jacline Mouraud, les Benjamin Cauchy, les Ingrid Levavasseur, ou autres Francis Lalanne…
Les différences

Mais des différences de taille séparent les deux évènements :

  • Le contexte socio-économique plus favorable de Mai 68 favorisait les soixante-huitards : Mai 68 intervint alors que le bolide capitaliste est au sommet de sa forme ; à l’inverse, le mouvement Gilets jaunes surgit quand le néolibéralisme n’est plus qu’une guimbarde épuisée à l’agonie.
    Or, il est beaucoup plus facile d’obtenir des concessions d’une oligarchie triomphante sûre de sa machine que de tocards finissants – des crétins comme Macron, Castaner, ou Schiappa, faut quand même être sérieusement atteint pour aller se les chercher ! – recroquevillés sur leurs privilèges menacés occupés à dépecer ce qui reste d’un système irréparable dans lequel ils ne croient même plus.
  • Une situation d’urgence plus mobilisatrice chez les Gilets jaunes : de même le soulèvement de soixante-huitards vivant dans un monde certes inégalitaire, mais plutôt cossu (donc plus malléables), ne revêt pas la même urgence que l’insurrection de gens touchés par la précarité et sous perfusion de la bonne volonté des banquiers dès le 10 de chaque mois.
Les leçons à tirer

Même si le contexte actuel, plus dur, plus urgent, est fort différent de celui, étouffant mais plus ouaté, des années 68, les Gilets jaunes ont deux leçons à retenir de leurs aînés soixante-huitards.

  • D’abord, qu’une fois enraciné, un mouvement peut s’inscrire dans la durée : Mai 68 ne s’acheva pas brutalement à la fin du mois de mai de l’année en question. Comme le note Gérard Noiriel dans son Histoire populaire de la France, le mouvement soixante-huitard fit sentir son influence jusqu’en 1974 au moins ; de nouveaux acquis sociaux conséquents furent arrachés jusqu’en 1973 et c’est en 1974 que la lutte féministe obtint une loi déterminante sur l’avortement via une des ministres du très néolibéral Giscard d’Estaing, Simone Veil.
  • La seconde leçon, c’est que la rue n’a pas forcément besoin du pouvoir politique pour imposer ses exigences. L’élection d’une majorité de droite aux législatives de juin 68 n’arrêta en rien le processus politique de revendications qui se poursuivit sporadiquement, mais plutôt efficacement, jusqu’à ce qu’en 1974, Giscard D’Estaing entreprenne une fort longue et fort difficile reprise en main. En 2007, presque quarante ans plus tard, le président Sarkozy se sentait encore tenu d’en finir « avec l’esprit, avec les comportements, avec les idées de Mai 68 ».

Aujourd’hui, le contexte de chaos systémique rend certes moins malléable un pouvoir en perdition. Pourtant, les Gilets jaunes disposent d’un atout que n’avaient pas leurs aînés de 1968 : l’extrême fragilité du système ; le retour de la récession et l’explosion des bulles financières que les spécialistes du monde des affaires annoncent pour 2019 pourrait être d’une aide inattendue aux émeutiers.

=> Photo : le titre de la chaîne mainstream LCI, qu’illustrait la photo reprise ci-dessus, en dit long sur l’inquiétude (et la lucidité) de la classe (encore) dominante face au soulèvement des Gilets jaunes.

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