Gilets jaunes, les raisons de la colère : 4/ Une boîte de thon pour une dent de lait manquante

La délinquance est d’origine sociale et n’est pas culturelle ou ethnique. C’est la pauvreté, la misère, la nécessité de satisfaire des besoins vitaux qui engendrent les premiers larcins.

Bénédicte Desforges, qui nous le rappelle, était policière. Elle s’est mise à écrire, sur un blogue, ce qu’elle voyait au boulot. Elle a publié un livre, recueil de ses chroniques, suivi d’un deuxième. Et puis elle a quitté la police.

On voit aujourd’hui dans les prisons de plus en plus de gens condamnés pour des vols alimentaires. Deux, trois ou six mois en taule pour le vol d’une bûche de chèvre, d’une boîte de sardines ou d’un sandwich. Comme au XIXe quand Victor Hugo raconte dans « Les Misérables » l’histoire de Jean Valjean qui a volé du pain. 

Par contre les ministres et les notabliaux pris la main dans la marmite de confiture s’en sortent toujours sans un seul jour à l’ombre. Alors qu’ils ont volé l’équivalent de millions de bûches de chèvre. Faut quand même être doté d’une intelligence très limitée pour ne pas comprendre que ça fâche les braves gens.


La galerie marchande de la cité

C’était une petite galerie marchande comme il y en a parfois au pied des cités. La moitié des magasins étaient fermés, les rideaux de fer désormais couverts de graffitis étaient baissés depuis longtemps sur des commerces qui ne tenaient pas longtemps face à la précarité et à la délinquance. Il restait un bazar tenu par un Pakistanais, quelques enseignes inconnues qui vendaient des vêtements à bas prix, un cordonnier et un bar ouvert vers la rue, avec ses quelques tables en plastique délavé et des parasols ouverts en toute saison pour avoir l’air plus gai. Et tout au fond de la galerie il y avait un petit supermarché où nous nous rendions ce jour-là pour y chercher un voleur qui avait été arrêté en flagrant délit par des vigiles.

Les quelques adolescents qui traînaient là, adossés aux murs des magasins morts, nous regardaient passer, le regard mauvais en marmonnant des mots auxquels nous préférions ne pas prêter attention. Ils devaient avoir une vague idée de la raison de notre venue et de nos pas pressés dans l’allée crasseuse de leur havre de fortune.

Nous sommes passés au-delà des caisses du supermarché, et un grand type arborant un badge d’une société de sécurité nous a invités à le suivre vers le bureau du directeur du magasin, où le voleur avait été conduit. Nous avons monté un escalier et sommes entrés dans une pièce dont l’unique fenêtre donnant sur les rayons et les caisses était masquée par un store à lamelles.

Un tout petit enfant sanglotait

Assis sur une chaise, face au bureau et à l’écran d’une caméra de surveillance, un tout petit enfant sanglotait. Il avait six ans.

– Où est le voleur ? avons-nous demandé.
– C’est lui, ont répondu d’une même voix le directeur du magasin et le vigile, en désignant le gamin.
– Qu’est ce qu’il a volé ?
– Une boîte de thon.
– Une boîte de thon ?
– Oui, une boîte de thon qu’il a mise dans sa manche. On a tout vu. On l’a chopé à la sortie.
– Il était tout seul ?
– Tout seul. Pas de complices. Sale petit con.

On regardait tous la boîte de thon sur le bureau.

Une boîte de thon sans marque, vendue à l’unité, de ces produits qu’on place tout en bas des rayons parce qu’ils sont les moins chers, que l’emballage est laid et ne donne pas envie.

Le gamin continuait à pleurer et hoqueter, avec plein de larmes et de morve sur le visage.

Tous ces merdeux, ces nègres et ces bougnoules

– Monsieur, on va emmener le môme. Affaire sans suite, on est d’accord ?
– Ah mais non, certainement pas ! J’en ai ras-le-bol de tous ces merdeux, ces nègres et ces bougnoules qui viennent me faire chier et me piller tous les jours ! Je vais déposer plainte.
– Ce n’est qu’une boîte de thon, vous n’avez pas mieux à vous mettre sous la dent comme voleur ? On va s’emmerder à faire une procédure pour une boîte de thon piquée par un mioche qui pisse encore au lit ?
– Mais j’en ai rien à branler, moi ! C’est votre boulot !

On est repartis avec l’enfant.

J’ai attrapé sa main, mais il s’est senti prisonnier.

On a traversé ainsi toute la galerie marchande dans l’autre sens vers la sortie.

Une dent de lait manquante

Le petit pleurait, essayait de m’échapper. Mais il fallait bien l’emmener pour le rendre à ses parents.

Les jeunes nous ont encore regardés, mais ils ne disaient plus rien. Seuls leurs yeux nous tiraient dans le dos.

Moi, je regardais vers nulle part, j’avais juste un voleur de six ans à mes côtés, un voleur de boîte de thon, qu’aucun mot ne calmait et qui, la bouche grande ouverte sur une dent de lait manquante, hurlait « maman » !

Dans la voiture, en route vers le commissariat, il s’est un peu calmé, on l’a rassuré comme on a pu, on a essayé de le faire rire. Et c’est là qu’il nous a dit qu’il avait faim.

=> Source : Bénédicte Desforges. Intertitres : Partageux.

=> Photo : Des vieillards font les poubelles à la recherche de nourriture.


J’étais bien jeune quand un prof de collège, fou de musique et de cinéma, nous a fait découvrir Graeme Allwright entre deux films en noir et blanc. La plupart de mes camarades auraient voulu des films en couleur et trouvaient que le prof avait des goûts de naphtaline. Moi, j’ai immédiatement accroché. Aussi bien au noir et blanc, que je préfère encore aujourd’hui à la couleur, qu’aux chansons de Graeme Allwright. Il est âgé aujourd’hui et ses chansons bercent toujours le « Petit garçon » que j’étais.

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Un citoyen ordinaire à la rencontre des personnes cabossées par la vie.