
J’ai publié ce qui suit le 6 octobre 2015. Depuis on s’étonne qu’il n’y ait toujours pas eu de sang versé autre que celui des suicidés.
2015. Air France annonce deux-mille-neuf-cents licenciements. Après une gigantesque purge récente. Après quatre ans de gel des salaires qu’il fallait faire des sacrifices pour assurer l’avenir. Après que Juniac le patron se soit accordé une hausse de son salaire de 70%. Après avoir provisionné 150 millions d’euros de retraite chapeau pour sa pomme. Alors des gens se sont énervés.
Je les applaudis d’avoir déchiré la chemise du DRH hyper-payé. Bon, ils ont sans doute aussi distribué quelques baffes en supplément cadeau. Mais on ne va pas trop finasser : quand on coupe du bois, ça fait de la sciure.
Je les applaudis parce que je suis opposé à la peine de mort. Et que j’imagine très bien un désespéré prendre un flingue et faire justice tout seul. Au lieu de se flinguer — un licenciement de 2 900 personnes, c’est 45 suicides si l’on rapporte à ce qui s’est passé chez les ex-Goodyear — il va tuer un cadre ou un patron. Ou plusieurs.
Ce n’est pas arrivé en France depuis belle lune et on ne voit pas ce qui pourrait l’empêcher encore bien longtemps. Parce que la colère est grande. Alors une chemise déchirée c’est un signal d’alarme tiré : « vous arrêtez les conneries ou il y aura des drames tôt ou tard. »
Une chemise déchirée. Un DRH fuyant comme un vulgaire réfugié à la frontière. Bien sûr tous les bourgeois sont en émoi.
Les Gilets jaunes, dernière chance des politiciens de sortir paisiblement de l’impasse ?
Nos politiciens ne mesurent pas le climat de désespoir régnant dans le pays. Nos politiciens ne réalisent pas leur immense chance de faire face à des Gilets jaunes. De bien braves gens : ils allument des barbecues et construisent ensemble des cabanes sur les ronds-points pour montrer leur colère.
Les Gilets jaunes sont peut-être la dernière chance des politiciens de sortir paisiblement de l’impasse… sans y laisser plus que leurs chemises.
Va voir J’veux du soleil ! le film de Gilles Perret et François Ruffin si ce n’est pas encore fait. C’est peut-être l’une des dernières occasions de voir un gars s’exprimer calmement devant une caméra alors qu’il n’a pas mangé depuis trois jours. C’est peut-être l’une des dernières occasions de voir une mère raconter calmement combien c’est dur de nourrir ses gosses dans l’un des plus riches pays de la planète.
Victor Hugo, dans Les Misérables, écrit que le sang appelle le sang. Un politicien, un cadre ou un patron tué un jour par un désespéré, c’est dix autres tués dès le lendemain.
Macron ne connaît pas son bonheur. Il devrait lire Ce pays que tu ne connais pas de François Ruffin, regarder J’veux du soleil ! et vite ouvrir les négociations avec tous les collectifs. Ce sera trop tard quand des désespérés solitaires exécuteront des peines de mort.
« Quant à nous, si nous étions forcés à l’option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares. » (Victor Hugo, Les Misérables)
Tu l’entendras dans la bande-son, épatante et ensoleillée, de J’veux du soleil ! Charles Trenet chante « Douce France ».