Gilets jaunes acte 21 : chronique d’une garde à vue, par Snae

Or donc, hier manif Gilets jaunes jusqu’à La Défense. Rien à signaler. Mais vraiment rien, hein. Difficile de faire marche plus tranquille dans le climat actuel. Bref, on rentre tranquillement avec cinq amis…

Vers 18h10, près du pont de Neuilly, on tombe sur des gendarmes qui filtrent. Je sais toujours pas ce qu’ils faisaient là. On fouille nos sacs et on passe sans soucis. Sauf un. Il a un masque dans son sac. Et alors qu’on en a un nous aussi, pour lui ça passe pas…

Comme chez nous la fraternité c’est pas juste pour faire joli sur les frontons, on reste avec lui. On les suit. On nous demande si on est ensemble. On chercher pas à nier. On a à nouveau droit à une fouille de nos sacs. On est finalement trois à être interpellés…

On est emmenés dans une camionnette avec un autre GJ. Il vient du nord. Il est sympa. Il espère être libéré assez vite pour prendre son train et retrouver son môme. On papote…

Le policier avec nous à l’arrière est cordial, enfin autant qu’on peut le paraître dans ce genre de circonstances. Il plaisante sur le fait qu’on aurait mieux fait de prendre le RER directement à La Défense, on aurait eu moins de problèmes…

Ça fait rire jaune (💛). Un peu embarrassé je crois, il finit par nous dire que lui non plus, les ordres qu’on lui donne, il est pas toujours d’accord. Cool de laver ta conscience, gus, mais les 21 heures en cellule et tout le reste, c’est pas toi qui te les tapes à la fin, hein…

« Fouille corporelle, nue sinon c’est pas drôle »

On arrive au commissariat, on attend, on se prend quelques remontrances à la con parce qu’on semble pas assez anéantis d’être là (on rigole un peu trop de la situation absurde apparemment). On vide et fouille nos sacs (encore). On nous demande si on a et veut un avocat (oui)…

On nous laisse comprendre que si on le demande, ça va être plus long. On renonce pas pour autant. Ils sont plutôt moins désagréables que la moyenne des flics, mais à l’évidence ça les ennuie qu’on leur facilite pas la tâche alors qu’ils voient bien que notre cas est ridicule…

On nous signifie donc notre garde à vue (pour un foulard et un masque de ski dans mon cas, oui oui …). Fouille corporelle, nue sinon c’est pas drôle, et direction la cellule…

Je vous épargne l’état des cellules, des sanitaires, l’odeur de la couverture, etc. etc. C’est plus ou moins comme vous pouvez l’imaginer. Pas pire mais pas mieux. Répartition non mixte dans les cellules. Mais ils prennent aussi soin de séparer les deux copains au cas où…

Ça donnera lieu à des casse-têtes et un jeu de « chaise musicale » assez fendard, bon sauf quand on te réveille à 3h30 pour te changer de cellule, alors que ça fait dix minutes que t’as enfin réussi à t’endormir…

Pendant la garde à vue, entre eux ils nous appellent tous « les Gilets jaunes ». Comme si c’était notre crime. On est neuf. Les deux autres, ils disent « tentative d’homicide » ou « vol en réunion ». Et ça les ennuie qu’on prenne autant de place, ils se gênent pas pour le dire…

« Je peux pas faire autrement, c’est pour les enfants »

Le Gilet du nord est parti le matin. Une policière lui a demandé un peu trop goguenarde : « Bon, j’imagine que samedi prochain tu seras plus Gilet jaune ? » Il lui a répondu en passant la porte : « Si, Madame, je peux pas faire autrement, c’est pour les enfants… »

Vers 12h, sur les neuf, il reste plus que nous, les trois relous. Relous parce qu’on a demandé un avocat et en plus pas un commis d’office donc ils doivent l’attendre. Le même pour les trois, mais ça c’est eux qui ont demandé. Ça nous arrange à la fin, comme ça on peut faire bloc commun…

La stratégie ? Bah, simple, on a rien fait qui mette en danger qui que ce soit, donc on dira rien. Leur coup de pression, ils se le gardent. Tant pis si ça peut étendre la GAV [garde à vue, ndlr]. Et le code de notre téléphone, ils l’auront pas, tant pis si c’est une infraction. Le fichage ça suffit …

Les questions de l’audience… On me demande si je fais partie d’un groupe idéologique, si je porte le gilet jaune, pourquoi on participe au mouvement, quels sont nos liens entre nous… On se tait.

21 heures après le début de notre GAV, on est finalement relâchés avec un rappel à la loi. Il est en photo ci-dessous. Blindé de conneries… et je parle pas que de la loi en question…

  1. J’ai rien dissimulé du tout, c’était dans mon sac à dos. Devais-je me balader avec un masque de ski sur le nez alors qu’y avait pas de gaz pour être dans la légalité ???
  2.  Le but, c’est pas de pas être identifiée, là. Le but, c’est de pas me griller les yeux et les poumons !

« Des conneries pareilles, ça prouve juste qu’ils savent plus quoi faire de NOUS »

D’où c’est le rôle de la Justice de supposer des intentions et des infractions qui n’existent pas dans les deux cas ? Quand je m’en suis plainte à l’OPJ [officier de police judiciaire], il m’a répondu : « C’est l’informatique, faut rentrer dans les cases… »

Mon cerveau l’a compris comme : « Non mais en fait, si tu vas en manif, vas y à fond, de toute façon t’es coupable. » Pas certaine que ce soit ce qu’il cherchait à me dire, mais bon 😊

Bref. Voilà, ça c’est pour le factuel. Un autre truc factuel en dehors d’avoir passé du temps enfermée entre quatre murs pour RIEN, c’est que du coup ils m’ont fichée, et si j’avais répondu ça serait fichée plus classée politiquement je suppose. C’est beau le nouveau monde 😍

FIN ? Ben non en fait. Faut pas avoir peur de ça. Lâchez rien. Rien. Des conneries pareilles, ça prouve juste qu’ils savent plus quoi faire de NOUS. Et en vrai le monde dans lequel ils nous forcent à vivre c’est pire qu’une GAV de 21 heures. Alors on le fera imploser. À bientôt ! ❤️

J’en profite pour dire merci à Matteo Bonaglia pour ses précieux conseils. Et un énorme merci à l’équipe du Media TV pour le soutien.

Ah, et les deux zozos qui étaient avec moi à danser et à faire des grimaces à travers les vitres des cellules. Vous êtes beaux, les copains ❤️

=> Source : Snae, via son fil Twitter (intertitres : Pierrick Tillet)

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