Faute d’avoir su instiller une envie de bonheur, Mai 18 a un goût d’inachevé

Mai 18 s’achève ce jeudi 31 et ne pourra guère prétendre rivaliser dans l’Histoire avec son grand-frère de 68. Y manquait ce goût du bonheur qui seul peut entraîner les foules.

« Soyez réaliste, demandez l’impossible », « l’imagination au pouvoir », « prenez vos désirs pour des réalités », clamaient les manifestants de Mai 68. En Mai 18, il n’était question que de faire « La fête à Macron », de mener une « Grande marée » de protestation pour sauver ce qui restait de vieux acquis sociaux et essayer d’enrayer une casse sociale déjà bien entamée. Un peu court pour faire rêver les foules.

En mars 2018, j’écrivais que seuls des mouvements sociaux offensifs pouvaient être gagnants. Être offensif, ce n’est pas vouloir sauver de vieux acquis sociaux menacés, fussent-il cheminots ou fonctionnaires, c’est en imposer de nouveaux qui dépoussièrent et améliorent encore plus ceux d’avant.

Mais il ne suffit pas non plus pour entraîner les populations de brandir un catalogue de mesures comme L’Avenir en commun et 41 livrets thématiques connus des seuls militants. Il faut, explique Alain Badiou dans un récent entretien libre avec Aude Lancelin, distiller l’idée d’une possibilité, celle qu’un autre monde est possible qui ne se contente de rafistoler les acquis vieillis d’un monde d’avant devenu insupportable.

Alan Badiou :

« Si vous n’êtes d’accord uniquement sur le fait que quelque chose de la situation existante vous paraît inacceptable, c’est très bien. Mais il faudra alors quand même expliquer aux gens ce que vous comptez mettre à la place. Il faut toujours un élément affirmatif qui vienne relayer les éléments négatifs. »

Un modèle de lutte réussie : la ZAD de Notre-Dame des Landes

Lors de la présidentielle 2017, la France insoumise avait trouvé un très joli slogan : « Retrouver le goût du bonheur. » Mais encore eût-il fallu savoir dire et transmettre en quelques mots forts – pas en plusieurs dizaines de pages de recettes – ce qu’on mettait dedans.

En novembre 2005, dans mon cinquième article de blog (celui-ci en compte aujourd’hui 2797) intitulé « Le Début d’un monde », je prônais une politique de l’apaisement qui rompait radicalement avec tout le fatras mortifère de la croissance effrénée, de la concurrence sauvage, de la lutte impitoyable de tous contre tous et de la destruction de notre environnement :

« La politique de l’apaisement à laquelle j’aspire, doit prendre pied là où nous vivons présentement, dans nos villes, dans nos banlieues sinistrées et, oui, même dans les milieux où nous travaillons. C’est une politique laïque, d’un hédonisme tranquille » (Chroniques du Yéti, 5 novembre 2005).

Il n’ y a pas 36 manières d’imposer cette politique de l’apaisement : il faut certes virer les fouteurs de merde qui sont au pouvoir actuellement, mais aussi faire comprendre à la population qu’il est possible, comme le préconise Alain Badiou, de se réapproprier « les moyens collectifs en matière de production, d’éducation et de sécurité sociale » pour organiser à notre guise notre vie en société.

La longévité exceptionnelle des zadistes de NDDL, vigoureusement soutenus et épaulés par une grande partie de la population locale, ne s’explique pas autrement et constitue un modèle des luttes à mener : le but des zadistes n’est pas seulement de contrecarrer un projet absurde d’aéroport en ce lieu, mais d’y développer de nouvelles formes de vie [photo] bien plus élaborées et raisonnées que la propagande médiatique tente nous le faire croire.

Faute de cette ambition, de cette « utopie », Mai 18 s’achève avec un fort goût d’inachevé. Mais le bilan de ce mois n’est cependant pas complètement désespéré/désespérant. Mai 18 aura été le mois du rabibochage de différents courants de lutte politique et sociale. Déjà ça de pris, mais reste à transformer l’essai. Mai 18 est mort, vive juin 18 et suivants…

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