
L’Entretien libre #13 Aude Lancelin/Alain Badiou sur Le Média : un modèle d’émission politique et d’engagement intellectuel. Indispensable de bout en bout.
À propos des « évènements » de Mai 18 comparés à ceux de Mai 68, par exemple (extraits) :

« Tout le monde a la conscience que quelque chose ne prend pas. Je crois au fond que les évènements ne prennent que quand en réalité, il y a une disposition de ceux qui y participent à une vision un peu stratégique, ce que j’appelle une idée. L’idée fait défaut. Au fond personne aujourd’hui dans ces mouvements n’a la conscience ou la conviction que ce qui se passe est capable de transformer positivement la situation. On a affaire à des résistances, c’est-à-dire à des données qui tentent d’empêcher le pire, d’empêcher la dislocation complète du système social, des nationalisations, du service public. Mais ça n’est pas saisi ou ressaisi dans une dimension affirmative commune, et de là quand même une certaine faiblesse.
Je me désole de cette faiblesse et je la vois dans le fait que les mots d’ordre restent dispersés ou creux. Dispersés parce que chaque composante a son mot d’ordre spécifique. À l’université, c’est l’opposition à des protocoles de sélection qui changeraient la donne et qui iraient finalement vers des universités privées. À la SNCF, c’est le démantèlement de la nationalisation et la disparition du statut de cheminot, etc. Ces mots d’ordre sont tous d’excellents mots d’ordre, tout à fait justifiés. Mais pour le recollement de tout ça, il n’y a pas d’idée suffisante à l’heure actuelle et c’est une grande différence avec l’idée flottante de révolution qui existait en Mai 68.
Ce qui unissaient les différentes forces en Mai 68, c’était l’idée d’une possibilité. C’est un point très important. La question de savoir si on croit, profondément ou non, qu’une autre organisation générale de la société est possible est un point-clé de la disposition de l’opinion publique dans les périodes de mouvements. Si vous n’êtes d’accord uniquement sur le fait que quelque chose de la situation existante vous paraît inacceptable, c’est très bien. Mais il faudra alors quand même expliquer aux gens ce que vous comptez mettre à la place. Il faut toujours un élément affirmatif qui vienne relayer les éléments négatifs. »
=> Source : Le Média