Jeudi 28 octobre : en regardant passer la manif

Début de journée un peu amer : sur les quelques dix personnes de mon service réunis cette semaine-là en un pourtant providentiel séminaire parisien, j’étais le seul à observer cette journée de protestation.

Huit jours avant, j’avais prévenu ma hiérarchie. Avec copie de mon mail à mes collègues de province. Aucune réaction de la part de ces derniers. Ceux-là regarderont passer le défilé, planqués derrière le mur d’une prudente apathie.

Un défilé un brin distendu

Paris, place de la République, 12 heures 30. Atmosphère de kermesse. Merguez, kebabs, distributeurs de tracts, cohorte de Roumains insistant pour vous refourguer la revue Sans Logis, vendeurs de sifflets… La structure de la manifestation est déjà en place, syndicat par syndicat. Peu de monde encore pour meubler la structure.

13 heures 15. Départ du cortège. Rodés, les slogans et les chants jaillissent au milieu des fumigènes et des banderoles. La sono hurle à fond des mots d’ordre un peu répétitifs et déjà entendus (« Sarko, si tu savais, ta réforme où on s’la met… »). La vuvuzela a fait des adeptes.

Est-ce le bruit, la sono, les cris, ces regards de connivence, ces étreintes multipliées pour se donner du cœur au ventre ? Impression soudain d’une foule compacte et conquérante. (L’impression ne se révèlera pas tout à fait juste. Mais pas complètement fausse non plus.)

Les leaders politiques serrent des mains

Devant le stand du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon serre des mains. Une militante douche mon enthousiasme : « Ce n’est pas folichon. Les rues adjacentes sont vides. Ça n’est pas une République [la place, ndlr] des grands jours. »

Arrivée à la hauteur du stand des Verts et d’Europe Écologie. Cécile Duflot serre des mains. Plus loin, Olivier Besancenot fait de même devant l’emplacement du NPA.

Sauf étourderie (ou mauvais esprit) de ma part, aucune personnalité notable devant le carré du Parti socialiste, pour serrer la moindre main.

Le silence des rues adjacentes

Je veux en avoir le cœur net. Je m’engouffre dans une des rues adjacentes au défilé. Certaines sont bloquées par des files de véhicules inconséquents. Par quelle indifférence crasse à la marche du temps, leurs conducteurs ont-ils pu se laisser piéger ainsi, des heures durant, un jour pareil ?

La ruelle que j’emprunte est en sens unique inverse. Pas de véhicules. Mais pas de piétons non plus. Il faut marcher un bon moment pour rencontrer âmes qui vivent. D’ailleurs, les voilà.

Pas de calicots ici, pas de slogans incendiaires, ni d’auto-collants vengeurs (« 60 ans, faut te l’dire en quelle langue ? »). Rien que des visages fermés, vaquant à d’improbables tâches d’un air faussement détaché, car on entend très bien la clameur venue du Grand boulevard tout proche. La masse silencieuse dans toute sa molle torpeur.

Une bataille pas vraiment perdue, une guerre à gagner

Je retourne au défilé. Il y a des espaces clairsemés entre les différents groupes. De part et d’autre du boulevard, personne aux fenêtres des façades grises ou presque (voir photo ci-dessus). Je remonte le cortège en sens inverse. Les derniers participants quittent à peine la place de la République. Il est 17 heures 10.

Plus tard, j’ai confirmation que la participation sur tout le territoire a été effectivement nettement moindre que lors des manifestations précédentes. Loin cependant d’être ridicule, cependant, quoiqu’en proclament précipitamment le ministère et les médias du microcosme.

Bon (me dis-je in petto), de toute façon il était clair que ce n’était ni les syndicats, ni les partis politiques, ni qui que ce soit d’autre qui étaient en mesure d’enrayer la dégringolade mondialisée. La Grande Crise se chargera de mettre tout le monde au pied du mur. Ainsi soit-il.

Mais ce sont ceux d’ici, les brailleurs, les beugleurs, les aboyeurs de slogans furieux, qui seront les plus à même de reprendre le flambeau quand le fond aura été touché. Plutôt ravi d’être de ce camp-là, finalement. J’en serai aussi le 6 novembre prochain.

Épilogue

Retrouvé mes collègues pour le repas du soir. Discussions convenues, un peu oisives. Sur la manifestation de la journée, quelques questions timides, presque compréhensives.

Manière d’éradiquer un sentiment obstiné de culpabilité ? De ne pas hypothéquer un avenir incertain, sait-on jamais ? Bof, tout ça n’a plus guère d’importance. Chacun est où il pense devoir être. Advienne que pourra…

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