
À un moment de Ce pays que tu ne connais pas, qu’on trouve aujourd’hui en librairie, François Ruffin raconte un de ses premiers reportages comme journaliste, dans un zoo :
« Je suis sorti du zoo allégé, tout guilleret. Je débutais sur un mode comique, mais moi qui me cherchais, j’avais trouvé ma voie, enfin, mon chemin, une raison d’être : rendre à la réalité ses aspérités, quand mille autres cerveaux, dans cent bureaux, à tous les étages de tous les pouvoirs, les communicants, les chargés de ceci, les directeurs de cela, ont pour fonction de lisser la réalité, de la gommer, d’en atténuer la dureté, et ils accomplissent leur tâche avec d’autant plus de zèle, d’efficacité, qu’ils l’ignorent pour de bon, ce réel. »
Ceci est la naissance d’une vocation, exercée au nom d’un Dieu dont le nom est lâché en fin de paragraphe : le réel. Vers sa vingtaine, François a « plongé » dans le réel : « Étrange réel, incongru réel, formidable réel, j’ai plongé, et je plonge encore, toujours pas rassasié, je me régale, je m’enivre, en « député-reporter » maintenant, trop rarement. »
François devient Ruffin en faisant vœu de réalité comme d’autres font vœu de pauvreté. Ce n’est pas exactement la même chose. C’est un peu la même chose. Car la pauvreté épure le réel qu’aucune couche de confort, alors, ne recouvre. C’est en s’arrimant aux pauvres qu’on prend la mesure du réel. C’est pourquoi il faut vivre parmi les pauvres, comme un autre François entretemps sanctifié le comprit il y a huit siècles.
« Être avec Max, à ses côtés, voilà la priorité. » La politique d’émancipation ne donne pas de leçon aux pauvres. Elle se tient avec eux. Et ce n’est pas qu’un sacerdoce. Ce n’est pas une corvée. C’est une joie. Passer du temps dans la proximité de Max est une source de joie. À 20 ans François a trouvé sa joie, et depuis il s’y est tenu.
Parallèlement, Emmanuel, grandi dans le même lycée d’Amiens, choisissait de vivre parmi les riches, loin du réel et de la joie. C’est pourquoi Emmanuel est sinistre. Emmanuel est à plaindre. François écrit : « Je vous ai regardé à la télé : c’était triste. J’étais presque triste pour vous. » Lisons le beau livre de François et prions pour Emmanuel.
François Bégaudeau