
C’est évidemment l’évènement le plus douloureux à admettre en période d’effondrement systémique. Celui-ci ne ravage pas seulement l’économie d’un pays, la politique, la morale, les conditions sociales, elle ne désintègre pas seulement les rangs de ses élites. Elle frappe aussi sa population dans son intégrité même.
Aujourd’hui le peuple français est plongé dans un tel état de torpeur, d’anéantissement psychologique, qu’il est proprement incapable de réagir à la destruction systémique de son cadre de vie. L’absence de réaction de milieux sociaux particulièrement frappés comme celui des médecins (interdits de prescription) ou des cafetiers-restaurateurs (condamner à végéter) illustre cette atonie populaire. Au point qu’on peut parler aujourd’hui d’effondrement du peuple.
Les cris de dépit qui fleurissent sur les réseaux sociaux, les indignations outragées, la compassion pour les victimes, les pétitions et lettres ouvertes adressées aux autorités sont bien plus des aveux de défaites que des signes de révolte. Les protestations de masse s’avèrent toutes plus vaines les unes que les autres. Et le seul acte véritablement séditieux des Gilets jaunes – l’intrusion au ministère Griveaux avec un engin de chantier le 6 janvier 2019 – resta isolé et non suivi d’effet.
Le long, morne et désespérant intermède entre effondrement et reconstruction
Quant à la présidentielle 2022, sa préparation fébrile dans les cercles militants relève surtout d’un faux-fuyant stérile. Comment imaginer qu’une population majoritairement défaite et sonnée vote en majorité sereinement et raisonnablement ? Comment croire que la caste mafieuse va se laisser déposséder du pouvoir par de vulgaires bulletins de vote ? Encore une fois, aucune crise systémique ne fut jamais réglée par une élection populaire.
Les gens n’ont pas encore assez souffert, constatait Emmanuel Todd pour expliquer la passivité populaire. Paradoxalement, les derniers restes de l’État social, officiels ou parallèles – des mesures généralisées de chômage partiel à l’efficacité des associations humanitaires qui nourrissent les populations précaires – sont aussi des freins aux explosions de colère populaire.
Voilà pourquoi le pays est aujourd’hui engagé dans le long, morne et désespérant intermède qui sépare un effondrement systémique confirmé d’une période de reconstruction. Reste à attendre que la souffrance…