
Thaliane raconte cette scène dans un fil Twitter. Comment humilier. Mais aussi comment résister à ce monde putride et comment refuser l’indifférence. Thaliane te fait une fiche pratique pour te montrer que toi aussi, dans ton coin, tu peux mettre du sable dans un rouage de la déshumanisation.
Pendant que j’attendais à la caisse du supermarché, passe une femme sans achat. Le vigile s’approche vivement et l’attrape par le bras.
– Tu as mangé une salade en rayon, tu dois la payer.
La femme nie et se débat. Le vigile :
– C’est sur la vidéo.
Elle se débat, tente de partir. Il la tient très fermement, la pousse contre le mur, deux autres hommes employés arrivent en courant et, à eux trois, ils traînent la femme jusqu’à une espèce de bureau face à ma caisse. La scène est violente, la femme continue à crier. Tout le monde détourne les yeux.
J’avais faim !
J’entends tout. Ils l’enjoignent de payer, elle dit ne pas avoir d’argent. Je l’entends crier :
– Vous n’avez pas le droit de me fouiller ! J’avais faim ! Non, je veux pas faire la manche, c’est encore plus la honte que voler !
(Le vigile lui disait de mendier pour payer !) J’hésite un peu, parce que je sais que faire la charité, ça n’aide pas vraiment. Mais là je vois pas trente-six options. Je paye mes courses, demande à la caissière de garder mes sacs et vais voir la cheffe de rayon de l’allée.
– Je voudrais payer pour la dame, pour que vos collègues la laissent partir.
– Je vais voir si c’est possible.
Euh, alors une salade, c’est grand max six euros si elle est de luxe, donc oui, ça devrait être possible. Ça m’étonnerait que les flics se déplacent pour si peu. Avant qu’elle ne parte, je lui précise :
– Je ne veux pas que cette dame me voit, je ne veux pas qu’elle se sente redevable.
Un euro et soixante-seize centimes !
Bon, là, j’ai bien senti qu’elle me pensait folle. Mais elle y est allée. Revient trois minutes après. C’est bon, je peux payer. Un euro et soixante-seize centimes. Putain ! Ils se sont mis à trois pour bousculer une femme parce qu’elle a mangé pour un euro et soixante-seize centimes !
Sauf que j’attends un peu et je ne la vois pas sortir. Alors j’y retourne.
– J’ai payé, pourquoi la dame n’est-elle pas sortie ?
– Elle ne veut pas donner son nom et son adresse.
– QUOI ? Non, mais de quel droit vous la retenez pour exiger son identité ?
Bon, là je craque et je vais frapper à la porte du bureau.
– Bonjour. Vous n’avez pas le droit de retenir cette personne ni d’exiger son identité et ses coordonnées.
Humilier
Et là le vigile :
– Ah tiens, voilà la gentille dame qui a payé pour toi et que tu dois remercier.
Je me retiens de lui hurler dessus. Mais vraiment !
– Non elle ne me « doit » rien du tout, elle est libre, et c’est difficile d’être reconnaissant quand on est humilié.
Finalement on est sorties ensemble, elle m’a remerciée. Elle m’a aidée à porter mes courses, je l’ai remerciée. On a parlé un moment, c’est bien la merde dans sa vie. Sans domicile fixe, plus de RSA depuis son arrivée à Lille. Je l’ai invitée à passer à Atd [Aide à Toute Détresse-Quart Monde, ndr].
– On n’y donne rien mais d’autres personnes qui ont la vie difficile cherchent des solutions ensemble.
Mais je crois pas qu’elle viendra : ça se lisait dans ses yeux que ça serait difficile de ne pas avoir honte devant moi. C’est tout le problème de l’aide d’urgence. Bien sûr elle est indispensable. Bien sûr on se sent merdique à ne pas aider. MAIS elle crée une relation où la dignité de l’un a été bafouée, alors elle ne résout rien sur le long terme.
Merci de faire monter les compteurs, ça va m’aider : demain ou après-demain, j’y retourne pour proposer au supermarché d’installer un frigo solidaire. L’idée d’un bon ou bad buzz peut aider.
=> Source : Thaliane (intertitres : Partageux).