DE LA VIOLENCE (quand vient le moment de rétablir l’ordre citoyen)

Un billet de yetiblog datant du 16 mars 2008. Une fois expurgée d’exemples trop datés, cette réflexion est d’une actualité brûlante. Car si la crise de notre système politique ne date pas d’hier, elle atteint aujourd’hui un point critique de non retour.


Dans les traversées de crises aussi graves que celle d’aujourd’hui, une des pires choses est le manque de lucidité. Mais pire encore que ce pire est le refus, la négation de cette lucidité, quand celle-ci nous aveugle. Confusément ou non, on SAIT, mais on se refuse à croire, à voir, à admettre l’évidence. Par peur, parce que cette évidence dépasse ce que notre raison est prête à accepter, parce que nous nous laissons enfumer docilement par les appels à une prétendue “modernité”, parce que nous sommes d’indécrottables optimistes quant aux ressources salvatrices de la nature humaine. Je suis persuadé que beaucoup pressentent désormais un dénouement douloureux à notre tragédie, une issue qui ne viendra pas des urnes, mais de la rue. Un passage obligé par un épisode violent.

Car enfin, il n’est que de constater que notre démocratie n’existe plus, totalement dévoyé par ceux-là mêmes qui s’en sont emparé et ne s’en servent que comme commode paravent. Ceux-là, avec l’aide appuyée des médias soumis aux puissances d’argent, nous imposent les candidats, et par conséquent les dirigeants qui leur sont acceptables, ne tolèrent que les opposants inoffensifs. L’actuel va-et-vient éhonté des ambitieux entre les différents partis politiques illustre crûment cette déviance. Toute tentative d’incursion subversive par les voies du système sera impitoyablement tenue à l’écart et marginalisée. Et des franges de plus en plus importantes de la population se retrouvent en deuil de toute représentation politique.

Nous ne sommes même plus dans des États de droit. Dans les pays de l’Empire, on ne compte plus les exactions et les forfaits dont les populations sont victimes. En France où, nous dit-on, les caisses de l’État sont dramatiquement vides, les quarante voleurs du CAC 40 dégagent des bénéfices historiques, des petites bandes de voyous détestables pillent ouvertement et en totale impunité dans les caisses (augmentation faramineuse des revenus patronaux, indemnités obscènes de départ ou de licenciement…), quelques centaines de dégueulasses privilégiés planquent leurs sales magots dans les paradis fiscaux du Lichenstein ou d’ailleurs.

Pendant ce temps, des violences inqualifiables sont exercées jour après jour sur la population : rafles et centres de rétention pour étrangers sans papier, désintégration du contrat de travail et des droits élémentaires à la santé, à la culture, à l’éducation, démantèlement de tous les services publiques, précarisation et paupérisation des salariés, flot grandissant des sans-logis, ghettoïsation des banlieues et de leurs habitants…

Pour protéger ses fondations en péril, il est clair que l’Empire ne reculera devant aucune extrémité, aussi violente soit-elle. Ce n’est même plus une anticipation, mais une réalité concrète. En témoignent les guerres d’Irak ou d’Afghanistan, les agressions colonialistes de l’État d’Israël…

En viendrait-on à passer “démocratiquement” entre les mailles de cette muraille, que l’Empire ne laisserait jamais l’intrus ronger, même en toute légitimité, ses pouvoirs de l’intérieur. Non respect de la décision populaire comme cette lamentable affaire du traité de Lisbonne, dénigrement systématique des pouvoirs démocratiquement élus mais considérés comme hostiles (Hugo Chavez, Evo Morales…), voire négation pure et simple de ces pouvoirs légitimes (l’élection du Hamas palestinien, par exemple).

Face à ces insupportables agressions qui tiennent du gangstérisme pur et simple, il est devenu indécent de faire l’autruche et de siffloter en détournant le regard. Sauf à croire que le système s’effondrera de lui-même pour faire place à une miraculeuse équipe de substitution (révolutions des Œillets portugais en 1974 ou de Velours tchécoslovaque en 1989), chose possible mais bien peu probable, mieux vaut se faire sans tarder aux pires éventualités. Les salauds ne laisseront pas le choix.

On ne répond pas à la violence en offrant sa poitrine aux baïonnettes. Ces réactions de violence sont d’ailleurs d’ores et déjà des réalités tangibles. Les récentes émeutes de banlieues, où l’on sort désormais les fusils, en sont un exemple symptomatique, même si elles expriment encore moins une révolte qu’une expression de désespoir suicidaire (les émeutiers retournent leur colère contre leur propre monde, écoles, bibliothèques, voitures…). N’en déplaise aux bien-pensants indignés, non seulement ces émeutes étaient prévisibles, mais il est même étonnant qu’elles ne soient pas plus fréquentes.

Pour Gandhi et Camus, le recours à la violence est parfois inévitable

Je comprends que cela puisse poser question à beaucoup d’entre nous. Éternel débat sur la violence ou la non violence ? Faut-il rappeler que l’icône de la non violence, le Mahatma Gandhi, limitait l’application de celle-ci à l’apparition de la lâcheté :

« Entre la violence et la non violence, je choisis la non violence. Mais entre la violence et la lâcheté, je choisis la violence. »

En 1948, dans une réponse à Emmanuel d’Astier de la Vigerie qui lui reprochait de plaider pour la non violence tout en passant sous silence les crimes commis par les États-Unis, Albert Camus écrit :

« Ce n’est pas me réfuter en effet que de réfuter la non violence […] Je ne pense pas qu’il faille répondre aux coups par la bénédiction. Je crois que la violence est inévitable, les années d’occupation me l’ont appris. Pour tout dire, il y a eu, en ce temps-là de terribles violences qui ne m’ont posé aucun problème. Je ne dirai donc point qu’il faut supprimer toute violence, ce qui serait souhaitable, mais utopique, en effet. Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence, que cette légitimation lui vienne d’une raison d’État absolue ou d’une philosophie totalitaire. La violence est à la fois inévitable et injustifiable. »

Tout est dans la distinction entre cet « inévitable » et ce « injustifiable ». Devant le sombre avenir qui nous préoccupe aujourd’hui, il est primordial que chacun ait l’esprit bien clair sur le sujet. Si l’on doit toujours s’interdire de “légitimer” la force ou la violence pour imposer une idée ou un système, aussi juste et idéal soient-ils, il est de notre devoir de refuser que des bandits, même sous couvert d’une légalité de façade, nous spolient de nos droits et de notre dignité. Il est à craindre que nous nous dirigions alors vers des décisions aussi fermes qu’“inévitables”.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.