Cédric Herrou : les cris d’hommes armés contre des ombres en sandales

Réfugiés Roya

Il est minuit, Tchen le gros chien noir aboie, les oies criaillent.
Les animaux comme les Hommes sont apeurés par les cris d’hommes armés.
Ils coursent et interpellent d’autres Hommes munis de simples sandales de plastique.
Des lampes puissantes transpercent violemment le silence de la nuit.
Les Hommes en sandales sont arrêtés, bloqués par un ravin trop abrupte pour sauter.

Pour identifier les proies pas besoin de regarder leurs pieds, leur visage suffit.
La noirceur de leur peau les rend coupables.
Pourtant ailleurs dans d’autres villes personne ne les regarde.
Ils sont noirs et discrets comme des ombres.
Qui regarde les ombres ? Personne.
Dans la Roya on les traque.
Les ombres ont fait de la Roya un État assiégé par des hommes armés.
Ils sont là pour elles, contre elles.
Ici dans la Roya chaque noir est arrêté, contrôlé, tutoyé.
Les ombres sont devenues des choses, des choses à évacuer.
Ici le droit ne s’applique pas aux ombres.

Par contre, le droit incrimine les résistants, oui je dis résistants, car nous résistons tant bien que mal à la pression policière, aux gardes à vue, aux procès et aux médisances et insultes de certains élus et hauts fonctionnaires.
Depuis deux ans nous sommes victimes et témoins d’une violence d’État.

En quinze mois j’ai subi huit gardes à vues, quinze menaces de mort, cinq perquisitions, quatre ordinateurs et six téléphones portables saisis et suis actuellement mis en examen avec un lourd contrôle judiciaire.
Mais cela ne suffit pas.
Je suis maintenant convoqué au tribunal de Nice pour avoir froissé Monsieur Leclerc, préfet des Alpes Maritimes.

Comment un préfet à lui seul peut-il insulter une justice, une vallée, une France que nos aïeux ont construite pour que, nous citoyens, soyons libres et égaux en droit quel que soit notre statut social ou notre couleur de peau.
Monsieur le préfet je n’ai pas besoin de comparer l’ignominie de la deuxième guerre avec vos actions pour vous insulter. Il me suffit de voir, d’ouvrir les yeux sur vos ordres donnés à ces militaires et policiers. Je n’ai rien besoin de dire, vos actions parlent d’elles-mêmes.
Je n’ai peur de personne, juste peur de ce que je pourrais devenir si je succombais à la peur de m’opposer à ce que vous faites.
Au nom des 18 personnes mortes pour sauver leur liberté, au nom des milliers de gamins reconduits hors de France illégalement, au nom des femmes séparées de leurs enfants, maris, au nom du droit d’asile bafoué, au nom de notre démocratie et au nom des Droits de l’Homme, je continuerai à m’opposer à vos actions.
J’ai perdu confiance dans les représentants de la justice, mais j ai confiance en elle car je suis certain qu’elle saura se rappeler. Elle se souviendra qu’en 2017 des hommes et des femmes se sont battus pour qu’elle reste belle.
Et si c’est au nom de la justice que je dois finir en prison, j’irai sans résistance, en homme libre.
Et ne pensez pas que l’Histoire vous oublie, je ferai en sorte qu’elle se souvienne et elle se souviendra.

Cédric Herrou

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.