
Avançons cependant car nous n’y sommes pas tout à fait, et vendons la mèche : tous ces éventrements indignes ne sont encore rien, et vont nous mener à un point de synthétisation.
Rappelons donc à ce stade qu’un ouvrage nous a permis de découvrir, en septembre 2018, c’est-à-dire « seulement » un an et demi après qu’une campagne présidentielle censément démocratique et rendue transparente par une presse indépendante et féroce ait permis au peuple de se choisir ses dirigeants, que Michèle Marchand, alias Mimi, femme de peu de bien, dégradante par tous aspects, étant passée de la prison et de plus basses œuvres encore, à devenir de facto et dès 2016 conseillère en communication d’un inconnu qui deviendrait Président. Qu’elle a agi avec l’appui d’un obscur homme de main et d’un oligarque délinquant repenti, avec l’appui d’un autre oligarque et de l’homme le plus puissant de France, utilisant pour cela des réseaux qui tiennent pour certains à des mafias et pour d’autres au plus profond de L’État – nous invoquerons plus tard le cas Squarcini ; le tout pour, par un matraquage médiatique inédit, faire découvrir et consacrer un individu sorti de nulle part qui appliquerait des politiques extrêmement favorables à ces individus.
Que ce matraquage médiatique n’a été compensé, contredit, par aucune enquête sérieuse, si ce n’est celle de M. Endeweld, alors journaliste indépendant. Un seul journaliste.
Que ce matraquage s’est doublé, ou a nourri, par suivisme et conformisme, des centaines d’articles élogieux, parfois prétendant seulement à une inatteignable objectivité, chez des journalistes sérieux et inconscients de ce qu’il se jouait, mais aussi de documentaires et de mises en scènes diverses – on se rappellera notamment les meetings à moitié vides présentés comme glorieux, ou les proses poussives présentées comme brillantes, ou encore les propositions programmatiques inexistantes justifiées au nom du pragmatisme et de l’intégrité.
Car l’on sait bien la nature grégaire de l’être humain, et ses difficultés, face à un phénomène que tous présentent comme naturel et de masse, à préserver son jugement.
L’on a donc a appris que ce matraquage avait été le fait entre autres d’un oligarque, Xavier Niel, lui aussi donc délinquant condamné, détenteur d’une septième fortune de France dépendant de l’État et ayant pour cela bénéficié de l’appui établi d’un homme politique ; oligarque qui a décidé, après avoir racheté les plus importants médias du pays, de se mettre au service d’un jeune premier pour l’aider à se faire connaître et consacrer.
Puis, par nos soins et non plus par ceux de nos enquêteurs qui ont dû taire un certain nombre d’informations pour des raisons évoquées et d’autres qui seront à évoquer, que ce même Xavier Niel était le gendre de Bernard Arnault, première fortune de France, que ce même Bernard Arnault connaissait intimement Brigitte et Emmanuel Macron depuis une période indéterminée, que cela se savait, que cela n’avait pas été dit, et que M. Arnault, outre les avantages fiscaux que M. Macron lui octroierait par loi plutôt que par exception – cela se serait trop rapidement vu – avait bénéficié pendant la même période des services de la même personne que lui et M. Niel pour façonner son image auprès des Français. Et que donc la conseillère en communication de deux des plus puissants oligarques de France était aussi celle du Président de la République, et l’avait servi « gratuitement » sans que personne n’en sache rien jusqu’en septembre 2018, le tout sans contrat écrit, en topant – le tout alors que M. Macron faisait payer à des millions de Français des politiques fiscales qui ne servaient que les premiers, et que M. Lagardère couvrait tout cela en autorisant ces politiques de communication.
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Le lecteur suspicieux demandera à cet instant : et alors ? Cela n’était-il pas, à défaut d’être dit, compris ?
Tout d’abord, rappelons qu’il ne s’agit pas que de cela. Qu’outre les menus cadeaux fiscaux, les constitutions de fortunes ne sont pas aussi miraculeuses que l’on le croirait, et que leur lien avec le politique, et leur capacité à l’influencer, est déterminante dès lors que ces fortunes se comptent en milliards et non en mil-lions.
Rappelons également que les constitutions de destins politiques en France, en cette si glorieuse démocratie que nous ne cessons de vanter, ne doivent peut-être pas tant qu’on le croyait aux vertus et qualités intrinsèques des uns et des autres mais bien à leur capacité à séduire et à servir ces mêmes oligarques, dont on a vu qu’ils étaient capables de dépenser des centaines de millions en des médias pour nous faire croire à leur désintéressement. Et que l’appui donné à la fortune des uns – appui dont il est objectivement établi qu’Emmanuel Macron donne à ses protecteurs, par l’adoption de toute une série de dispositions fiscales et réglementaires les intéressant directement et n’ayant aucun bénéfice pour le bien commun – peut faire la destinée politique des autres. Quitte pour cela à passer par des tiers peu recommandables. Qu’en somme, les amitiés que M. Macron entretient avec Messieurs Arnault et Niel pourraient ne pas être aussi insignifiantes qu’on l’a prétendu, mais au contraire être déterminantes, nous insistons sur ce mot, déterminantes politiquement, et que celles-ci ont peut-être été masquées du grand public pour une raison. Et que lorsqu’elles n’étaient pas masquées, auront été rendues insignifiantes, secondaires, étouffées pour la même raison.
Rappelons en effet les modalités de constitution de la fortune de Monsieur Arnault, devenu le plus riche d’entre nous : c’est bien grâce à une scandaleuse opération effectuée aux dépens de l’État, rachat de Boussac effectué par la grâce d’une faveur politique que lui octroierait lors des années quatre-vingt un certain Laurent Fabius, que M. Arnault a pu construire son empire, devenir milliardaire, racheter des médias par pelletées et, devenu première fortune française, se lier d’amitié avec des présidents de la République décidés à alléger son fardeau fiscal pour permettre de léguer à ses enfants une puissance non dissimulée – président qui n’hésitera pas, une fois élu, à affirmer que les tentatives de fraudes fiscales n’étaient qu’optimisation, et qu’il y avait de « bonnes raisons » à s’exiler fiscalement en Belgique.
Voilà où nous en sommes arrivés.
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C’est bien par son lien avec le politique, qui a généreusement mobilisé les ressources de l’État pour subventionner les entreprises que M. Arnault prétendrait avoir sauvé après se les être vues littéralement offertes et les avoir démantelées – prétendrait à une politique sociale qu’il trahirait – que cet oligarque a fait sa fortune. C’est bien par des amitiés et autres connivences alors considérées inoffensives, avec M. Fabius très spécifiquement, que ce Monsieur Arnault est devenu ce qu’il est, au détriment d’un pays tout entier. Mais surtout, nous rappellerons que si les biens qui fondèrent sa fortune furent bradés par un pouvoir aux abois, ce ne fut pas pour éviter une faillite et des licenciements – puisque factuellement, ces licenciements interviendraient – mais parce que ce pouvoir se trouvait à la recherche d’appuis pour se maintenir en fonctions et contrer l’inexorable retour de la droite à partir de 1983, et cherchait à se constituer un réseau de financiers et de relais médiatiques capables de construire un dispositif écrasant l’espace public et faire ainsi oublier la trahison de leurs promesses de campagne. Qu’ils le firent chronologiquement dans cet ordre, pour se maintenir au pouvoir. Pour dévoyer la démocratie.
Et l’on commence à comprendre comment tout cela peut nous affecter beaucoup plus gravement qu’on aurait pu le penser.
Le lien entre petite et grande corruption, entre petite et grande politique – entre un CICE créé par un M. Macron encore secrétaire général de l’Élysée, dispositif ayant coûté à l’État plusieurs dizaines de milliards d’euros et dont le premier bénéficiaire serait le groupe Carrefour, on le retrouve encore là – et le soutien exubérant que ces mêmes grandes entreprises lui octroieraient en retour – commence à se tisser.
Et nous comprenons qu’il y a dès lors là, dans ces questions d’amitié qui pouvaient sembler insignifiante, quelque chose qui touche directement à l’intégrité de notre régime, et dans la complaisance que les journalistes ont montré à l’égard de ces puissants quelque chose qui commence à relever de l’ordre de la criminalité.
Le principe d’une démocratie représentative est de consacrer des intermédiaires chargés de représenter le peuple et la société et de contrôler l’action de l’État et de nos gouvernants. Les journalistes au premier chef sont chargés de s’assurer que nos représentants n’utilisent pas le pouvoir au profit de leurs propres intérêts. S’ils ne le font pas, le sens même de notre régime s’effondre, et notre démocratie devient formelle là où elle était réelle. Quel sens à une élection où l’on aurait à voter à l’aveugle, incapacités à connaître quoi que ce soit des acteurs à qui l’on nous présenterait, des intérêts qui les ont propulsés ?
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Mais continuons notre procès, car nous n’en avons pas fini avec nos révélations. De la même façon que l’on ne devient pas milliardaire sans raison, l’on ne devient pas président n’importe comment. Cela est évident. L’exceptionnalité de la fonction qui consiste à diriger un pays nous fait trop souvent penser qu’elle serait le fruit de l’exceptionnalité de la personne qui s’en est saisie. Or certains mécanismes de cooptation et de corruption jouent bien plus fortement que les qualités que l’on croit intrinsèques et nécessaires à la direction des peuples. Et Xavier Niel, qui a décidé – comme Bernard Arnault[efn_note]
Que l’on rappelle à ce stade être le propriétaire non seulement du plus grand conglomérat de luxe au monde, capable par leur puissance publicitaire de tuer un média s’ils le décidait, mais aussi directement du plus important média de France, le Parisien, et du seul quotidien d’information économique de notre pays, excusez du peu, Les Échos, après avoir achevé La Tribune, son concurrent.[/efn_note] – d’investir sa fortune dans les médias et pour alimenter ses réseaux, le sait bien. On ne fréquente pas Mimi Marchand sans raison.
Bien entendu, l’être naïf pourrait le penser. Il faut alors à nouveau le rediriger vers l’ouvrage que nous citions, Mimi, et qui révèle dans la suite de M. Endeweld que Xavier Niel, avant de proposer aux « Macron » de coopérer avec Michèle Marchand, avait offert à ces derniers d’utiliser ses « réseaux » pour tenter de vérifier et d’éventuellement faire taire une information.
Nous parlons bien là oui du plus important détenteur de titres de presse du pays. Celui -là même qui a mis la main sur Le Monde et quelques autres journaux, tout en prétendant ne jamais intervenir dans leur contenu. Nous parlons bien là du futur président et de la future première dame, Monsieur et Madame Macron, qui acceptèrent ce service, et par là-même, déjà, acceptèrent de s’asservir à un tiers qui leur devenait tout puissant, devenant redevables d’un fait qu’il pourrait à tout moment réutiliser, se liant à jamais à sa capacité à les faire chanter.
