Crépuscule, par Juan Branco – 8. Des anti-complotistes limite complotistes

Une fois le fait relationnel établi – et il le fut –, nous serions allés plus loin. Outre l’interrogation sur le lien existant entre ces fréquentations et les biais politiques de M. Macron, n’aurions-nous pas eu à chercher les compromissions et conflits d’intérêts qu’elles pouvaient susciter ? D’aller chercher en ces espaces protégés, ces non-lieux de la République qui en certains arrondissements de Paris, fabriquent toutes les compromissions, les données permettant de prouver les interventions dans l’espace public de ces oligarques en faveur de leurs protégés ? Les recrutements et mises à l’écart, les interventions factuelles dans leurs vies et celles de leurs proches, ce que l’on nomme corruption ?

Il ne serait alors plus seulement agit de se demander depuis quand donc M. Macron était devenu ami du couple le plus fortuné de France, ni comment l’on accédait à ces individus, contre quelle engeance obtenait-on leur estime – puisqu’il n’y a, dixit Xavier Niel, et l’on commence à comprendre le sens de sa phrase, nulle amitié en ces rapports, ce qui veut dire, de sa propre admission, qu’il n’y a que des intérêts – alors que l’on est censé être un gentil gamin d’Amiens, venu perdu seul à Paris, fuyant l’oppression familiale pour se construire son destin pour un amour tant de fois magnifié ?

Et quel est le lien entre le fait que cette fable ait été fabriquée pour être contée au grand nombre, et le masque qu’immédiatement elle faisait porter sur les relations que nous venons de mentionner ? Était-ce une pure corrélation, où y avait-il justement volonté de masquer l’un en mettant en scène l’autre ? S’agirait-il en somme, dès le départ, d’une fabrication ?

Et n’aurait-il pas fallu alors s’indigner, ou a fortiori s’excuser, d’avoir parlé de ce gentilhomme de province qui, projeté sans le sou dans Paris par le fait d’un amour brisé, s’était dévoué au bien commun suite à de brillantes études avant d’être propulsé aux plus hautes responsabilités de l’État, sans ne jamais s’être compromis, prêt à tout pour se sacrifier ? N’était-ce pas là l’histoire que, de Paris Match à France télévision, des journalistes par centaines avaient raconté, dépensant des millions laborieusement arrachés à la société pour mettre en scène documentaires, récits, enquêtes et portraits relayant non pas la réalité, mais une fable fabriquée ?

Cet être en fait appuyé – nous n’oserions dire fait – par quelques puissants en quête de relais, à un moment où tous les candidats du système s’effondraient, n’avait rien de l’innocence que l’on clamait. Et il ne faudrait pas s’excuser de l’avoir pitoyablement prétendu ?

L’on entend déjà s’indigner tous les petits soldats du régime, ces journalistes qui ne se contentent pas de placer leur indépendance au-delà de tout soupçon, mais accusent, face à qui leur présente les faits exposant leur compromission, de complotisme ces mises en doute de leur intégrité – comme si cela avait, face à l’évidence de leur échec, un quelconque intérêt ! Ceux-là même qui passent leur journée à arguer de leur absence de servilité tout en ne se trouvant jamais en désaccord avec l’ordre ; écrasant de leur morgue et mépris les dissidents qui oseraient les questionner ; tous ceux-là qui, tout en clamant leur liberté, n’auront cessé de cacher pendant cette période ces faits, et qui, par leur récit avarié de la campagne présidentielle, portent une immense responsabilité dans l’effondrement du régime auquel nous sommes en train d’assister.

L’on entend les indigner, mais on ne peut, à ce stade, que les mépriser. Car ces êtres ont démontré qu’on ne pouvait leur faire confiance. Soit du fait de leur bêtise crasse – incapacités à l’intelligence minimale qui rend politique un rapport d’amitié entre un oligarque détenant des moyens d’agir sur le réel supérieurs à ceux d’un État et un Président – soit de leur compromission.

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Car même en les croyant – en croyant qu’il n’y aurait rien à soupçonner à partir de ces liens non explicités – tout cela aurait en effet a minima et d’évidence exigé de mobiliser d’immenses moyens d’enquête pour, enfin, fermer le clapet à ces complotistes et autres ennemis de la démocratie qui, non contents de voir le mal partout, croient qu’il y a en Paris un cloaque où les politiques se vendraient aux financiers, sous le regard absent de journalistes avariés.

Que nenni. Un seul journaliste, en un seul ouvrage, tenterait de faire ce travail à temps : L’Ambigu M. Macron du dit Marc Endeweld, alors journaliste d’investigation. Et cet ouvrage, alors que personne ne comprenait rien à rien au phénomène Macron, ne serait pas même chroniqué au Monde ou au Figaro. Regardé avec dédain, on le laisserait passer, préférant s’intéresser et s’exciter au récit que Lagardère et Niel, Arnault et Marchand fabriquaient.

Un seul courageux, le même qui démissionnerait par la suite de Marianne suite à son rachat par un oligarque tchèque, un certain Kretinsky, investissant par ailleurs dans Elle et Le Monde pour préparer son rachat d’un Engie que M. Macron s’apprêtait à privatiser, exactement comme M. Drahi avait racheté Libéra-tion sur demande de M. Hollande – demande relayée par M. Macron – pour se voir autoriser au rachat de SFR, avant de nommer son ami et plume Laurent Joffrin à la tête de sa rédaction. Cela, ce n’est pas nous qui le racontons. C’est l’homme de main de M. Drahi, Bernard Mourad, intime de M. Macron, dans le Vanity Fair de décembre 2018, qui expose sans se gêner les modalités de constitution d’une oligarchie, un milliardaire trouvant appui en un Président contre le fait de mettre à son service un média racheté pour cela. Le tout, sans malaise ni questions[efn_note]Ce fait est le seul que nous ajoutions dans cette version actualisée du texte d’octobre 2018, tant il nous semble grossier.[/efn_note]. Sans indignation.

Non, rien de tout cela ne fut fait. L’on préféra au contraire s’étrangler face à l’exposition de ce fait, croire aux explications de M. Macron – sa prétention, contre toute évidence, de ne pas avoir d’amis, et contre toute évidence supplémentaire, d’avoir agi rationnellement en supprimant l’ISF là où tous les experts et les études le contredisaient. L’on préféra s’indigner contre celui qui tout cela tentait d’exposer, alors pourtant que l’on découvrait dans le même temps que la première fortune de France, M. Arnault, était bel et bien invité d’honneur par M. Macron au dîner d’État donné par Donald Trump quelque temps plus tôt. Mais, enfin, après tout, cela relevait probablement du hasard, et encore : en quoi, si cela se vérifiait, cela devrait intéresser le public ? Nous y revenions, l’ordre trouvant toujours à justifier sa lâcheté pour ne pas avancer. Après tout, qu’importait, quelques milliards par ci, quelques milliards par-là ? Le politique n’était-il pas affaire d’empirisme, ne fallait-il pas les laisser essayer, et qu’importe si entre temps l’on dégradait pour ce faire la vie de millions de gens ?

Notre président n’avait-il pas en somme eu pour seul tort, pendant l’entretien du Trocadero, de s’être montré embarrassé d’un fait insignifiant, et d’avoir nié l’existence d’une amitié somme toutes naturelle ? Voilà l’argument que suivraient, une fois tous les autres épuisés, les soldats du système, dans le but non plus de convaincre, mais de s’apaiser et de se tranquilliser. Voilà où mène la compromission. Car si M. Macron semble les avoir sélectives, ces amitiés, et mettre en œuvre des politiques publiques particulièrement affines aux intérêts de ces amitiés, tout de même : ne serait-il pas naturel, entre gens de talent, de s’apprécier et de se fréquenter ? Pourquoi soupçonnerait-on l’évidence, là où il serait si facile, face à un être qui nous ressemble tant, de croire aux bonnes fées ?

N’y aurait-il pas facilité, et complotisme, à attribuer aux fréquentations des uns les choix politiques des autres, alors qu’une législation puissante contrôle le financement de la vie publique – oublions un temps les vingt millions de Bygmalion et toutes les affaires qui récurrentes montrent l’insignifiance de ce contrôle – et que nulle trace de compromission n’a été identifiée ? Pourquoi interrogerait-on l’insistance délirante avec laquelle cet être, outre l’ISF, défend le maintien du CICE, qu’il a créé, et qui chaque année, coûte au moins vingt-milliards à l’État, pour un effet que là encore tous considèrent insignifiant.

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