
Il se trouve que l’affaire a si bien marché que l’on ne s’étonnera dès lors pas que le directeur de la rédaction de Paris Match – nommé suite à la destitution du précédent sur demande de Nicolas Sarkozy – devant être démissionné à l’été 2018, ne le fut pas par la grâce d’un appel de Brigitte Macron à l’homme à tout faire d’Arnaud Lagardère, Ramzy Khiroun, appel effectué sur demande de Mimi Marchand, qui craignait de perdre là son principal relais, et la principale source de ses financements. Brigitte Macron savait ce qu’elle avait à perdre en perdant Mimi Marchand. C’est pourquoi quelques jours plus tôt avait été proposé le recrutement de Mimi Marchand à l’Élysée aux services administratifs du palais, qui avaient rechigné. Arnaud Lagardère, lui, acquiescerait.
Pourquoi cela n’est pas dit dans l’ouvrage Mimi, comme il n’est pas dit qu’Arnaud Lagardère a été le client – failli – d’Emmanuel Macron, et que M. Khiroun et ses berlutti en ont été les missi dominici ? Parce que l’éditeur de cet ouvrage, Grasset, est propriété d’Hachette, qui a été racheté par une holding nommée Lagardère Active, dont le propriétaire est un certain Arnaud Lagardère, et dont le directeur effectif est un certain Ramzy Khiroun.
Et l’on commence à comprendre pourquoi en ce pays personne ne comprend rien, tandis que tous sentent tout. Car l’espace public français est traversé de semi-compromissions qui empêchent quiconque d’avoir l’indépendance suffisante pour tout raconter : tous ont une affinité, un lien, une dépendance à l’un des pans de ce système qui les empêche de recouper ou d’énoncer. Et tous, du coup, doivent tronquer la vérité.
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Reprenons. Coup sur coup, l’on a « découvert » – un peu tard, notera-t-on, nous ne sommes après tout qu’en septembre 2018 – qu’outre le fait que Xavier Niel et Emmanuel Macron étaient amis depuis des années – ce qui ne se disait pas – ; que cette amitié avait été mise au service d’un projet politique et avait mis en branle une machine de propagande huilée, financée par M. Niel et appuyée par M. Lagardère en dehors de toute règle électorale, au moins à partir de 2016, probablement bien avant ; et que cette machine de propagande a joué un rôle de première ampleur dans l’élection présidentielle de 2017, en permettant l’obtention de dizaines de unes de presse people, de Paris Match dont nous venons de parler à Gala, Closer et VSD, au profit d’un inconnu propulsé par là-même au cénacle des personnalités éligibles.
Nous comprenons que part de cette information n’a pas été révélée car part des plus importants médias de notre pays appartenaient à tel oligarque, et part des autres médias à cet autre oligarque : qu’il y a donc bien, contrairement à ce qui est répété à tue-tête par le moindre journaliste à qui on poserait la question, qu’il y a un problème grave dans le fait que la presse française soit concentrée entre les mains de quelques personnes très richement dotées, qui ont investi dans les médias car leur fortune dépend de l’État. Tous les jurons dont recouvrent les journalistes quiconque oserait le mettre en doute n’y pourront àcet instant plus rien.
Mais cela va plus loin : ce que nous avons découvert, c’est que ces unes de presse ont été vendues par Mimi Marchand à des magazines détenus pour grande partie par des oligarques qui avaient été en liens d’affaires avec le futur Président de la République spécifiquement. Qu’il y a tout à penser que cela a été fait parce que tous y trouvaient intérêt, et non seulement parce qu’ils étaient séduits par la couleur des yeux du futur Président et la beauté du couple qu’il formait avec Brigitte Macron.
Et cela, nous l’apprenons alors que nous savons par ailleurs que ces magazines ont accepté, et cela sans que personne ne s’en offusque vraiment – c’est-à-dire, lui donne une importance suffisante pour le faire censurer – de publier des « fausses exclusivités » et des « fausses paparazzades » fabriquées de toutes pièces par l’agence de Mimi Marchand, Bestimage.
Qu’en somme, M. Macron a été présenté sur papier glacé tout en prétendant qu’il ne le voulait pas et n’y pouvait rien, et que les Français, croyant découvrir des images spontanées, ont découvert des images fabriquées et financées par certains des hommes les plus puissants de France pour leur présenter un couple idéal qui servirait leurs intérêts.
L’on pourrait à ce stade comparer la chose à l’ascension soudaine que connu un certain Poutine V., placé à son poste du jour au lendemain via une élection démocratique par une oligarchie cherchant paniquée à défendre ses intérêts, prête à vendre à son peuple le moindre bureaucrate qui lui prêterait serment, exactement de la même façon que M. Macron fut en quelques mois propulsé d’être inconnu à être démocratiquement élu – multipliant pour cela les opérations de commande et mises en scène qui auraient été raillées en tout autre pays.
On pourrait pour justifier ce rapprochement rappeler que M. Macron ne se prive pas depuis d’intervenir dans la gestion des médias d’État, commandant et décommandant des émissions avec des amis dont il assure qu’ils seront recrutés ou maintenus à leur poste – nous pensons à M. Delahousse, amiénois comme l’est M. Macron, que Delphine Ernotte voulait écarter du service public en octobre 2017 et qui, après intervention de l’Élysée, fut maintenu et se vengea en décembre de la même année en imposant la diffusion d’un entretien avec le Président, resté dans les annales de par sa domesticité, enguirlandage littéral d’un Président de la République par le service public, long tunnel de propagande de quarante-cinq minutes tourné dans les bureaux de l’Élysée. Nous pensons à M. Pujadas, pourtant peu farouche garnement, éjecté de son poste le jour de l’intronisation de M. Macron. Nous pensons à quelques autres affaires qui, touchant Léa Salamé comme elles touchèrent Michel Field, pourraient avec un peu de courage être bientôt publiées. Nous pensons enfin à toutes ces autres affaires, distributions de prébendes et d’avantages que M. Macron mettra en œuvre – en parallèle à cette mise sous tutelle effective d’une partie des médias – pour récompenser ceux qui l’avaient aidé, utilisant pour cela des politiques publiques qui favoriseraient la montée des inégalités et se doubleraient d’un autoritarisme et d’un arbi-traire rampant, réduisant la liberté à mesure que s’accroissait la corruption[efn_note]De la loi sur le secret des affaires aux privatisations en passant par la flat tax, l’exit tax, la suppression de l’ISF, la CICE et bien d’autres dispositifs plus discrets, l’on ne compte plus les dispositifs ayant eu pour visée d’alimenter les intérêts des individus l’ayant appuyé, créant un système d’impunité qui parallélisait une réduction des libertés publiques, via l’intégration de l’État d’urgence dans l’état de droit et toute une série de dispositions législatives et réglementaires régulièrement dénoncées.[/efn_note].
L’on pourrait le faire, mais en des cris d’orfraie, cela nous serait immédiatement reproché. Après tout, l’on ne meurt pas par assassinat en France lorsque l’on est journaliste. L’on ne meurt que par suicide et inanité, à force de se faire écraser lorsque l’on a tenu à se confronter au pouvoir et refusé de céder. L’on meurt par compromission ou précarité, car les mécanismes visant à faire taire les courageux sont bien plus insidieux qu’en un pays autoritaire, où il faut en passer par des organes comme le CSA pour faire censurer des informations. En France l’information se dilue, s’étouffe par la médiocrisation de sa production, son éditorialisation, l’assèchement des moyens postulés – aucun de ces oligarques, bien évidemment, n’aurait l’idée, après avoir investi des millions pour les racheter de perdre quelque argent pour ces médias qu’ils assurent détenir pour défendre la démocratie. Non, en France, personne ne prend la peine de tuer. Puisqu’il suffit de nommer.
Il y a bien d’autres éléments qui rendraient la comparaison oiseuse, dont le fait que M. Macron ne provient pas des services secrets, mais d’un autre corps tout aussi important, l’inspection générale des finances ; qu’il a été propulsé en temps de paix – là où M. Poutine eut à gérer la Tchétchénie en position de fragilité, ce qui immédiatement l’amena à massacrer et torturer.
On rejettera le parallélisme dès lors, mais pourtant il nous restera, comme une petite musique nous rappelant de la fragilité de notre liberté, comprenant que des différences qui pouvaient sembler de nature pourraient n’être que de contexte. Dès lors il nous restera, conscients que nous sommes des dangers que font naître ce genre d’ascensions programmées, intéressées, en des cadres où nul espace permettant d’en faire voir la grossièreté ne reste préservé, où l’on peut tout dire, sauf parler des mécanismes empêchant de tout révéler. L’on se souviendra comment d’autres fondés de pouvoir finirent par le prendre, le pouvoir, en une grande brutalité, pour compenser leur fragilité, après avoir semblé insignifiants. L’on se souviendra que nos élites crurent Poutine affaire transitoire, rempart temporaire de la démocratie, comme les élites étrangères croiraient, un temps, Macron rempart de nos libéralités. Qui aurait pensé en 1999, en cette démocratie renaissante et enfin libérée des emprises du passé qu’était la Russie, que quelques années plus tard seulement, Politkovskaïa serait tuée ?
Qui aurait pensé en 2017 que, alors qu’un jeune impétrant faisait barrage au fascisme, quelques mois plus tard, un certain conseiller de ce Président, place de la Contrescarpe, grimé en policier, tabasserait des manifestants, et pour cela, ne serait pas sanctionné ? Que par la suite encore, des milliers de manifestants, préventivement, seraient arrêtés, après qu’une campagne de terreur aurait annoncé morts et assassinats, déploiement de milliers de policiers et de blindés dans les rues de Paris, pour empêcher une insurrection qui cherchait à faire tomber un système dont elle ne supportait plus les excès ?
Non, ne nous autorisons aucun rapprochement. Mais pourtant, nous nous interrogeons.
