Crépuscule, par Juan Branco – 4. Vingt-neuf unes dithyrambiques

L’on comprend bien l’importance qu’a pour M. Niel de plaire aux élites politiques et technocratiques de notre pays, et dès lors, de se constituer en oligarque en investissant dans la presse afin de s’assurer que ces hommes politiques lui prêtent une influence sur laquelle il pourra jouer – exactement comme le fait son adversaire M. Bouygues avec le 20H de TF1, y invitant les dirigeants de notre pays selon leur capacité à servir ses intérêts.

M. Niel prend de fait un infini plaisir à déjeuner avec tout jeune intrigant qui lui montrerait son intérêt, pour peu qu’il soit passé par l’une de ces fabriques à élite qui vous garantissent un destin doré – Polytechnique, L’École normale supérieure ou encore l’ENA[efn_note]Ce fut notre cas, en janvier 2014, date à laquelle il nous annonça qu’un jeune secrétaire général adjoint de la République deviendrait Président.[/efn_note]. Il invite et toise alors ces camarades de cordée[efn_note]Car oui, M. Niel, contrairement à ce que raconte une légende fabriquée avec l’aide de Mimi, participe de ce système, en bon héritier d’une bourgeoisie confortable qui le fit inscrire en l’une de ces classes préparatoires d’élite scientifique, distorsions de l’école républicaine qui sacrent et consacrent les plus jeunes héritiers de notre pays.[/efn_note] en un restaurant proche de la Madeleine, leur fait tout un numéro visant à leur donner l’impression qu’ils pourraient s’allier, et s’assure du maintien de liens cordiaux qui par la suite il n’hésitera pas à mobiliser. Ainsi, plusieurs centaines de haut-fonctionnaires ont été déjà curieusement influencés, à l’heure où ces lignes sont écrites, en une période où la chair est encore tendre, et les idées mal formées.

Tout cela est su et connu par quiconque participe à ce landerneau politico-médiatique qu’est le petit Paris. L’on s’étonne dès lors qu’il ait fallu attendre septembre 2018 pour que les liens entre l’un des plus importants oligarques de notre pays et son Président aient été révélés. Non pas seulement en ce qu’ils étaient à connaître pour contrôler les éventuels conflits d’intérêts et interventions dans l’espace démocratique que M. Niel aurait pu mettre en œuvre, mais aussi en ce qu’ils auraient permis de lever un voile sur l’immaculée conception qui fit miracle lors de l’élection de Macron. Aurait-on identiquement voté, si l’on avait su que ce jeune admirable, touché par la grâce et sorti de nulle part par la seule force de son talent, était en fait propulsé par l’un des hommes les plus puissants et les plus influents de France, dont on se doute qu’il n’agissait pas sans intérêts, avant même qu’il ne fut aux Français présenté ?

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Bien sûr que non. Et pourtant, alors que l’affaire était sue, l’on s’est tu. Personne n’a moufté. Il aura fallu attendre qu’au détour d’un ouvrage où il n’est affaire de l’un et de l’autre qu’en deux petits chapitres, un an et demi après cette élection et quatre ans au moins après leur première rencontre, pour que l’information soit révélée – et reprise, discrètement et sans commentaires, par une journaliste du Monde pourtant bien au fait de ces affaires, une certaine Raphaëlle Bacqué.

L’on s’étonne d’autant plus que c’est bien chez Xavier Niel, au sein de la très vantée Station F – construite à Paris avec l’appui de la maire de Paris, Anne Hidalgo, auprès de qui Xavier Niel a introduit son missi dominici Jean-Louis Missika, compagnon de route de Free depuis la première heure et nommé opportunément premier adjoint d’une Maire dont le second adjoint, Christophe Girard, est parallèlement employé d’un autre oligarque, Bernard Arnault, dont nous reparlerons – ; c’est donc au sein de cette très vantée Station F construite à l’aide de la puissance publique et pourtant toute dédiée à la gloire de Xavier Niel qu’Emmanuel Macron a été accueilli à plusieurs reprises et a même parlé de ces « riens » que l’on croiserait dans les gares, ces citoyens réduits, contrairement à lui et à ses acolytes, à prendre RER et métro.

Le citoyen mal-informé avait pu penser qu’il s’était agi, en ces multiples visites et démonstrations d’affection et de soutien que M. Niel et M. Macron avaient échangé, en des lieux qui, de l’école 42 à la Station F, semblaient avoir pour objectif de servir le bien commun et non leur influence et réputation, d’un pur et bienheureux hasard. Mais les journalistes, alors même que M. Niel se vantait dans le tout Paris d’aimer et chercher à faire élire, puis soutenir son ami ? Alors même qu’ils étaient au courant de l’appui que la puissance publique avait donné à la mise en œuvre de ces plateformes, qu’ils voyaient bien les difficultés que pouvaient causer l’organisation de ces simili-meetings, démonstrations de force hyper-contrôlées mises en scène avec une apparence d’insouciance pour moderniser l’image de M. Macron, donner l’impression qu’il était l’incarnation du nouveau, susciter par là-même la confiance de ses congénères les plus inquiets de ces révolutions qui en inquiètent tant ?

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N’en restons pas là, bien que le fait seul que cet élément soit tout ce temps resté masqué suffise à interroger l’intégrité de notre espace médiatique et la santé démocratique de notre pays. Car il se trouve que nos confrères s’aventurent quelque peu plus loin. Ils ne se contentent en effet pas, l’air de rien, de nous apprendre que deux êtres liés par la pègre et restés proche de celle-ci se sont alliés pour faire élire un inconnu à la Présidence de la République, mobilisant fortune et réseaux pour le faire connaître et l’imposer aux Français, dans l’idée qu’il serve leurs intérêts. Nous découvrons aussi, par pointillismes successifs, les modalités par lesquelles Xavier Niel est intervenu au cœur de notre espace démocratique pour faire connaître, et par la suite élire, son protégé. Ainsi apprend-on dans l’ouvrage que c’est Xavier Niel qui a offert à Michèle Marchand de s’occuper de l’image d’Emmanuel Macron et de sa femme, lors d’une rencontre organisée en son hôtel particulier avec cette dernière.

Cet hôtel particulier où se déroula cette rencontre cruciale, n’est rien de moins qu’une réplique marbrée du Grand Trianon.

Mimi Marchand, la reine de la presse people, condamnée pour trafic de drogues – elle fut interpelée conduisant un camion doté de 500 kilogrammes de haschisch – s’est fait prendre en photo dans le bureau de M. Macron en juillet 2017.

Celle qui n’hésite pas à exposer l’intimité des gens pour les intimider et à utiliser ses sources pour détruire sur commande tel ou tel individu, a été la personne en charge d’introniser M. Macron auprès des Français. Mimi Marchand, ou la marchande de secrets ayant fait les beaux jours de la presse people depuis vingt ans, capable de faire taire une information, fut-elle d’intérêt public, en quelques instants, de montrer et d’exposer des corps nus pour les humilier ou les consacrer.

Pour peu qu’on la paye bien.

Mimi Marchand et ses jours de prison, ses réseaux dans la mafia et la police, ses hommes de main et paparazzi, ses menaces et ses violences, ses enveloppes d’argent liquide qui en ont achevé plus d’un, est une très proche d’Emmanuel et de Brigitte Macron.

Et cette même Michèle Marchand a été présentée à Brigitte Macron-Trogneux par son « ami » Xavier Niel, dans son hôtel particulier, afin de faire taire une information, et de transformer Emmanuel Macron, alors illustre inconnu, riche banquier ayant utilisé les réseaux de l’État pour faire sa fortune, s’interrogeant sur son avenir, le transformer en un gendre idéal, et susciter une sympathie que rien dans son parcours ne faisait naître.

L’opération, à en croire les auteurs de l’ouvrage, a été un succès, puisqu’elle aurait été directement à l’origine des – pas moins de – 29 unes dithyrambiques que Paris Match et quelques autres ont octroyé à Emmanuel Macron et sa femme en quelques mois.

Vingt-neuf unes.

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Mais comment un seul individu, une femme comme Mimi Marchand aurait-elle pu, seule, ou avec l’appui d’un seul milliardaire, provoquer une telle conversion ? Cela semble trop gros.

Et cela l’est. Il se trouve en effet que nous commençons à recouper les choses et les non-dits qui habitent ces enquêtes. Le propriétaire de Paris Match, Arnaud Lagardère, dont les auteurs disent que Mimi Marchand est la véritable directrice de la rédaction, a par ailleurs été client d’Emmanuel Macron pendant sa période à Rothschild, ce qui n’est pas dit dans l’ouvrage. Il se trouve, comme l’a raconté Vanity Fair, que l’homme de main de M. Lagardère dans les médias, un certain Ramzy Khiroun, fut mis à disposition de M. Macron par Arnaud Lagardère dès sa nomination en tant que ministre de l’économie, pour s’occuper de sa communication. Et que c’est donc l’alliance de Mimi Marchand et de Ramzy Khiroun, de Niel et de Lagardère, qui a permis la mise en œuvre de cette opération de communication.

M. Lagardère est l’héritier d’un immense empire que par sa médiocrité il a fait pas à pas dépecer. La fortune de sa famille a été faite par l’État.

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