Crépuscule, par Juan Branco – 23. Contre Macron

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Note du Yéti – 23e et dernier épisode de Crépuscule. Merci à Juan Branco pour son autorisation de publication en feuilleton et à Frédéric pour le travail de correction. Le texte intégral de l’ouvrage (pdf) est téléchargeable en fin de chaque épisode. D’autre part, un autre tout nouveau texte de Juan est disponible en version livre sous le titre Contre Macron (éditions Divergences, 13 euros).


Les échecs qui suivent n’importent plus guère, dans un système où les rapports d’influence priment sur les idées et les engagements. La mort de son père libère Attal d’une tutelle oppressante et lui permet d’officialiser sa relation avec Séjourné, par le truchement d’un PACS qui scelle l’alliance de deux capitaux.

Utilisant les ressources sociales obtenues lors de son passage à SciencesPo, Gabriel Attal recommande des individus « bien formés », à la confiance garantie par leur appartenance aux mêmes réseaux de socialisation que ceux qu’il a investi depuis l’Alsacienne, et le fait par brassées entières à Séjourné, qui, renforcé par cet afflux auprès de Macron, sait rendre à Attal l’influence que ce dernier lui permet d’acquérir. En ces temps, nulle parole politique n’est prononcée, nul engagement, nulle idée du pourquoi tout cela est fait, si ce n’est le plaisir qui en est tiré et les prébendes qui en sont attendues. L’ambition est creuse, porteuse de néant et non d’exigence, l’excitation satisfaite et, vaniteuse, n’a plus que le goût de la trahison.

Macron, qui a été investi en urgence du fait de la catastrophe politique qui touche tous les candidats du système, doit très rapidement constituer des réseaux de confiance pour donner l’impression d’être prêt. Il faudra des mois pour qu’enfin émergent des propositions plus ou moins sérieuses ses conseillers se montrant tout aussi incapables d’imagination et de pensée que lui, mobilisant pour tenter de « penser » conjoints et parents, dans l’indifférence et la bienveillance d’une presse trop excitée par une prise qui semble la dépasser. L’appareil de communication mis en branle fait de cette évidente difficulté un atout, transforme en originalité la faiblesse, et permet de masquer l’inanité d’une campagne montée en toute hâte pour éviter que des candidats situés en dehors du système et de l’oligarchie puissent l’emporter.

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Attal a parfaitement compris ce qu’il peut apporter à ce jeune homme nommé Séjourné qui n’est pas sorti des grandes écoles et ne s’est pas socialisé au sein des élites parisiennes. Les logiques de lutte contre le déclassement à l’œuvre au sein de ses anciens camarades de l’École alsacienne, alors même que la crise économique et les politiques de prédation commencent à créer des entonnoirs au sein des élites, lui donnent à ce titre un avantage marqué. En position de pouvoir en un espace en expansion, il attire dans les filets de la macronie naissante une dizaine de jeunes qu’il sollicite, teste et sait recommander. Leurs noms jonchent les Macronleaks, qui exposent leurs échanges de mails complaisants, mêlant sans fards pure ambition et propositions de service sans le moindre contenu. Attal, qui se trouve au confluent des réseaux relationnels qui ont fait se mêler anciens de l’Alsacienne et nouveaux des grandes écoles, sait en jouer, et le système qui se met en place lui permet, lorsqu’il échoue à obtenir l’investiture socialiste dans les Hauts-de-seine, de rebondir immédiatement.

Lorsqu’il obtient ex nihilo et sans le moindre début de justification l’une des circonscriptions les plus courues et faciles d’accès du pays, personne ne moufte, car personne ne le connaît, ni lui ni les mécanismes qui lui ont permis de monter. À Vanves et Issy-les-Moulineaux, à quelques pas de Paris, là où André Santini, baron local tenant les lieux depuis vingt-ans a décidé de ne pas se représenter, où plus de soixante pour cent des électeurs viennent de voter pour Emmanuel Macron, voilà que celui dont le conjoint siège au comité d’investiture pour y représenter le Président de la République[efn_note]« Il connaît « pour les avoir choisis » », fanfaronne-t-il devant ses proches, « chaque élu LREM ». Le Point, 12 octobre 2017.[/efn_note], se voit ouvrir un boulevard. Emmanuel Macron s’apprêtant à être élu, Attal n’a plus qu’à officialiser son engagement, redessiner doucement son CV, prétendre qu’il s’apprêtait à lancer une Start-Up et sans guère faire campagne, obtenir sa députation. Le 18 juin 2017, il entre dans cette Assemblée nationale qu’il connaît si bien et où Alexandra R., maintenant oubliée, l’avait introduit quelques années plus tôt.

Immédiatement bombardé whip[efn_note]Dans les pays appliquant le système de Westminster ainsi qu’aux États-Unis, le whip est le député ou représentant chargé de veiller à ce que les élus de son parti soient présents et votent en fonction des consignes du parti. Le terme vient de l’anglais whip qui veut dire « fouet ». source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Whip_(politique)[/efn_note] de la commission des affaires culturelles et éducatives grâce à l’appui silencieux de son conjoint qui continue de taire leur relation et, devenu conseiller politique à l’Élysée, est chargé de superviser la distribution des postes au sein de la nouvelle Assemblée Attal prend dès lors sans difficultés un ascendant incompréhensible pour le quidam sur ses nouveaux camarades députés. Nourri à la source du pouvoir, au courant de toutes les confidences de l’Élysée, ayant toujours un coup d’avance, masquant tous les ressorts de son ascension, il est nommé dans la foulée rapporteur de la loi créant Parcoursup, dont la mise en place catastrophique n’aura là encore aucun d’effet sur la suite des événements. Tirant de sa proximité avec l’Élysée, dont les raisons ne sont jamais explicitées, une ascendance sur des journalistes sevrés par la politique du secret mise en œuvre au château, il échange des informations, se fait mousser, donne l’impression d’une altière supériorité. L’accès au pouvoir fascine et justifie a posteriori une distinction qu’autrement personne n’aurait perçu. À cet instant, plus personne n’a d’intérêt à exposer les ressorts de son ascension. La fausse pudeur en vogue dans l’oligarchie, doublée de la crainte d’un outing qui serait mal perçu, protègent la mystique d’Attal et sa capacité à s’imposer. Le voilà distillant à droite à gauche anecdotes, tout en couvrant de façon méticuleuse les ressorts de son ascension, obtenant de Richard Ferrand tout ce que son conjoint ordonne à ce dernier d’octroyer.

Il reste cependant à transformer cet immense capital en notoriété. Malgré l’échec de Parcoursup, enlisé en des polémiques interminables, et l’absence encore d’un quelconque fait de gloire, doté d’un charisme contestable et d’une éloquence incertaine, le jeune député est cependant et contre toute logique bombardé porte-parole du parti présidentiel en décembre 2017. L’insigne inconnu, âgé de vingt-huit ans, sans aucune expérience de vie, se montre incapable en un premier temps de susciter un quelconque intérêt, et tarde deux mois à provoquer le moindre article à son sujet.

C’est alors que Séjourné obtient de l’Élysée qu’il soit invité à la matinale de France Inter en pleine mobilisation des cheminots et des étudiants, à la place d’un Jean-Michel Blanquer qui sait très bien l’intérêt qu’il trouvera à ne pas s’exposer.

C’est alors que l’assurance de classe qu’il démontrait dès ses plus jeunes années trouve matière à expression. Ses provocations n’ont pour but que d’enfin le faire connaître, et d’évidence, l’irritation naissante montre que la partie a fonctionné. L’affaire, si elle avait pu inquiéter, rassure Macron qui voit en ce jeune garçon un potentiel pare-choc, dont l’arrogance dépasse la sienne, et qui saura dès lors détourner les coups. Dans sa circonscription, Attal n’hésite pas à briser une grève de postiers épuisés, distribuant le courrier grimé en employé de l’ancien service public pour « défendre ses administrés » et multiplie les marques d’un rapport au monde n’ayant plus à déguiser sa véritable nature.

Les années socialistes sont écartées, et revient la véritable pensée d’un être construit et institué par et pour le service de sa classe, qui comme Macron n’a plus de raison de le masquer. Il a à peine le temps de voter contre l’interdiction du glyphosate après avoir déclaré publiquement vouloir son interdiction, appuyer la proposition de loi contestée sur les fake news, décrire le gouvernement italien comme étant « à vomir » et d’appeler à la mobilisation contre le « momo challenge », que l’attend l’étape suivante Se présentant moins d’un an après son élection, à seulement 28 ans, à la présidence du groupe parlementaire majoritaire de son pays, Attal ne retire sa candidature qu’une fois assuré que quelques semaines plus tard, un ministère lui sera octroyé. L’Élysée vient de lui offrir les réseaux de Mimi Marchand, enclenchant une campagne de propagande visant à préparer et légitimer a posteriori sa nomination au gouvernement. Gabriel Attal, depuis ses vingt-trois ans doté d’un salaire de près de six mille euros par mois et maintenant doté de trois collaborateurs travaillant à temps plein dans le seul but d’assouvir ses ambitions, n’ayant toujours pas démontré la moindre idée ou engagement, après avoir troqué les majordomes et voitures de fonction qui le servaient au ministère de la Santé entre ses 22 et 27 ans par ceux de l’Assemblée, est intronisé sans efforts, par pure inertie, au cœur de l’État français. Lorsque, le 16 octobre 2018, il est nommé Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, avec les attributions budgétaires et politiques qui vont avec, en charge de la mise en œuvre du service universel, il est peut-être, avec son conjoint, le seul à ne pas être surpris. Une anecdote d’apparence insignifiante alors resurgit : plus d’un an après son élection, le jeune député n’avait, au moment de sa nomination, toujours pas inauguré de permanence électorale dans sa circonscription. Comme si la star montante de la macronie n’avait pu s’empêcher de signifier à ses propres administrés à quel point, en son parcours, ils n’avaient pas compté.

*

Alors que le peuple bruit, achevons cette fable par cette simple affirmation : ces êtres ne sont pas corrompus car ils sont la corruption. Les mécanismes de reproduction des élites et de l’entre-soi parisien, aristocratisation d’une bourgeoisie sans mérites, ont fondu notre pays jusqu’à en faire un repère de mièvres et arrogants, médiocres et malfaisants.

Nulle part ne réside plus le moindre idéal, la moindre recherche d’un engagement ou d’un don.

Restent des questions :

  • Pensait-on que ces êtres serviraient des idées, eux qui se sont constitués au service d’intérêts ?
  • Pensait-on que ces individus nous grandiraient, eux qui se sont contentés, tout au long de leur vie, de servir pour construire une ambition que rien ne venait sustenter ?
  • Et pense-t-on vraiment qu’en de telles circonstances, la suite de l’histoire ait à être contée ?

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