Crépuscule, par Juan Branco – 21. Le mur du réel est rude

Note du Yéti : le texte intégral proposé en pdf en fin de billet a entièrement été revu et corrigé dans la forme par un prénommé Frédéric  qui a agi de sa propre initiative pour, dit-il, éviter que « que ce texte soit attaqué par un quelconque connard sur les plans orthographique ou syntaxique ni même simplement de la compréhension ». Un grand, très grand merci à ce stakhanoviste de la perfection syntaxique !

C’est cette version corrigée que vous lirez désormais dans les derniers épisodes (23 au total). Et j’invite vivement ceux qui ont téléchargé la version intégrale précédente du texte à la remplacer par celle-ci. Place maintenant à l’épisode 21 (sur 23).


M. Attal de Couriss, qui n’a encore que 17 ans et n’a rien perdu de cette assurance ravageuse et cruelle qui séduit ses interlocutrices, obtient son bac avec aisance, quitte sans regrets l’école qui l’a pouponné depuis l’enfance et intègre à quelques pas de là SciencesPo, où il va remettre en place le dispositif déployé au lycée. Adoubé par la « méritocratie républicaine », doté d’une intelligence que le système vient de sanctifier, jouissant d’un sentiment de toute puissance qui ne l’a jamais fait échouer, il se montre toujours plus conforme à sa classe, investissant en de grandes dépenses et menues distinctions, navigant en scooter de son grand appartement familial à SciencesPo, traitant avec mépris la plupart de ses congénères qu’il considère comme inférieurs socialement, commençant à inviter ses pairs les plus privilégiés en son luxueux château et sa demeure de l’île-aux-moines, se tissant ainsi un réseau tout en troquant les gargarismes sur ses origines[efn_notes]Sa particule, encore présente lors de son admission à SciencesPo, disparaîtra rapidement.[/efn_notes] pour une soudaine adhésion au progressisme, se montrant en somme indifférent à toute idée, prêt enfin à se mettre au service d’un projet politique qu’il vouait jusqu’alors aux gémonies.

Il faut dire que SciencesPo est un lieu idéal pour qui viendrait de l’un de ces lycées que l’élite ne peut s’empêcher de consacrer, et qui chercherait maintenant à être adoubé. Sa promotion ne compte pas moins de douze étudiants provenant de la seule Henri IV, tandis que les anciens de l’Alsacienne y bénéficient du privilège qu’octroie la connaissance parfaite du quartier et d’un conditionnement culturel qui les y a tout directement préparé, rendant, pour être tout à fait honnête, inutiles les cours de ses deux premières années. Plus fort, s’y trouvant en position de surplomb par rapport à l’immense majorité de leurs camarades, ceux qui y ont été admis bénéficient d’une « prime sociale » qui attire à eux ceux de leurs anciens camarades de lycée qui, ayant échoué ou n’ayant pas même tenté le concours, doivent maintenant réfléchir aux dispositifs qui assureront leur préservation au sein des élites parisiennes qui inquiète tant leurs parents.

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Voilà donc Gabriel Attal qui peut, certes sans succès tant les entreprises sont menées avec morgue, se présenter à la direction de la section SciencesPo d’un PS qu’il admettait quelques mois auparavant haïr férocement – et où il se trouvera confronté à la future tête de liste aux européennes de la France Insoumise Manon Aubry – avant de tenter de s’imposer par le truchement d’un ami de la famille comme l’homme fort des comités de soutien à Ingrid Betancourt, y trouvant là une ressource pour construire des réseaux de socialité verticaux parfaitement complémentaires de l’assise sociale que lui donne son intégration à SciencesPo.

Le vernis d’engagement qui lui est attribué tient cependant mal, tant il peine à masquer arrogance et pure volonté de dominer. S’installant à Vanves, à quelques pas de l’appartement que ses parents financent, il tente de s’imposer dans la section locale du Parti Socialiste, organisant une visite de Marisol Touraine, ce qui lui permet d’être présenté au secrétaire socialiste et conseiller municipal d’opposition, qui lui laissera sa place après leur échec aux élections de 2014 et l’intronisera comme son successeur au conseil municipal avant de se voir brutalement trahi. L’échec aux municipales frustre les ambitions d’Attal, pressé, qui continue cependant à tenter de se rapprocher de l’intelligentsia socialiste. Si son entrisme auprès la famille Betancourt lui a certes permis de commencer à élargir ses réseaux politiques, sa tentative d’inscription dans la roue d’Hervé Marro, qui deviendra rapidement conseiller à la mairie de Paris, échoue. Sa présence sur le Tarmac de Villacoublay lors du retour de Madame Betancourt, au cours d’un événement lacrymal longuement raconté à Paris Match lors de l’un des articles de l’été 2018, ne lui a rien apporté.

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C’est peut-être là le moment le plus décisif dans l’ascension programmée de Gabriel Attal qui à nouveau, comprenant que la chose pourrait ne pas l’aider, tente d’effacer sa particule.

L’échec de la prise de la section PS de SciencesPo se double, à son grand étonnement, de difficultés scolaires. Fin connaisseur de l’entre-soi que l’on apprend à comprendre et dominer à SciencesPo, Attal s’ennuie tant qu’il manque à plusieurs reprises de redoubler. S’entourant comme à l’Alsacienne d’une cour d’héritières mêlant êtres en perdition et ambitieuses fascinées, dont la fille d’un grand oligarque russe avec qui il organise de menues soirées dans le seizième arrondissement, il doit faire le choix en troisième année d’un stage, ayant été exclu des plus prestigieuses universités. Avec le soutien formalisé, prétendra-t-il, de Frédéric Mitterrand, le voilà qui porte son choix sur la villa Médicis. Ce qui sera sa seule « expérience professionnelle » avant son recrutement par Marisol Touraine aux plus prestigieuses fonctions de l’État puis son élection comme député. Un stage, donc qui ne lui ouvre pas les portes espérées.

La première confrontation au réel de Gabriel Attal, pourtant pour le moins balisée, est un échec. Mitterrand étant parti au ministère de la culture avant son arrivée, Eric de Chassey l’a remplacé. Le professeur de l’école normale se lasse vite de ce jeune homme provocateur incapable de travailler en équipe. Le mur du réel est rude : voilà l’être qui avait fini par se croire brillant quelque peu démuni dès lors qu’il doit pour la première fois se confronter à un monde pour le moins protégé.

La période est rude, et fait deviner à Attal les difficultés qui l’attendront à la sortie des cocons où il a été jusqu’alors préservé. À SciencesPo, la concurrence s’impose avec d’autres héritiers qui font montre d’une toute aussi importante rapacité. Il lui faut redoubler ses efforts, et le voilà qui s’inscrit en licence de droit à Assas pour tenter de se distinguer. En des lieux où à aucun moment on n’exige de prouver sa valeur, le jeune premier s’agite, apporte son soutien à François Hollande lors des primaires socialistes de 2011, tente à nouveau, via Marisol Touraine, d’approcher son équipe de campagne en rédigeant des notes à l’attention de Pierre Moscovici, et las, à nouveau, échoue. Rien ne semble plus pouvoir le distinguer ni lui attirer les grâces au-delà du cocon où il a été élevé : la période est à la stagnation, et avec la stagnation, à l’angoisse la plus incarnée. Même la liste étudiante à laquelle il participe afin d’organiser les soirées de SciencesPo, vecteur d’intégration primaire au sein de l’institution, n’obtient pas les suffrages espérés et fait l’objet d’éprouvantes railleries, tandis que son hommage au directeur défunt de SciencesPo sur la plateforme collaborative « Le Plus », revendiquant en filigrane une proximité inexistante, ne donne rien non plus. Voilà qui commence à inquiéter.

Miracle cependant. Une certaine Alexandra R. devenue de M. réussit à rattraper son retard en premier cycle et son échec à Henri IV, intègre SciencesPo avec un an de décalage, lui permettant de renouer avec un fil qui menaçait de s’effacer.

Tenu de justifier d’une expérience professionnelle avant sa diplomation, Gabriel Attal décroche un stage auprès de… Marisol Touraine. Nous sommes en janvier 2012, en pleine campagne présidentielle, et celle-ci est chargée du pôle affaires sociales, qui doit revenir à Martine Aubry une fois le gouvernement formé. Ce qui ne devait être qu’un pis-aller se transforme par le plus grand des hasards en une piste de lancement sans commune mesure. À la faveur d’une carambole et suite au refus de Martine Aubry d’occuper son ministère, le poste est proposé à Marisol Touraine. L’ environnement extrêmement misogyne et sa longue expérience antérieure de cette charge faisaient qu’elle ne s’y attendait plus, malgré sa prestigieuse parentèle – Alain Touraine occupant une position écrasante au sein de la seconde gauche.

En un gouvernement sans ambitions ni idées, portée par une campagne qui n’a servi qu’à consacrer les plus insignifiants, voilà celle que l’on promettait au mieux à un secrétariat d’État, propulsée nouvelle ministre des affaires sociales et de la santé, poids lourd dotée de moyens extraordinaires pour appliquer une politique de gauche tant attendue, et nécessitant pour cela la constitution d’un entourage qui, à défaut de compétents ou d’engagés, saura la protéger. Gabriel, qui à ce sujet n’y connaît d’évidence rien, n’a pas encore exercé de fonctions professionnelles, ne dispose d’aucune spécialité universitaire et qui vient d’apprendre qu’il devra redoubler sa dernière année à SciencesPo, se voit proposer d’intégrer le cabinet du plus important ministère du gouvernement, au poste de conseiller à titre plein.

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