
Il ne suffit pas de s’entourer de puissants qui recherchent des fondés de pouvoir, ce qui requiert déjà quelques qualités, dont un profil suffisamment immaculé auprès du grand public, exigeant notamment de ne pas s’être trop visiblement compromis, pour devenir Président de la République : il faut aussi savoir s’entourer d’une armée de fidèles, suffisamment fidèles pour se taire, mais aussi intégrés au système, en connaissant les rouages et capables de mettre en branle les projets de ces puissants ; chargés en somme d’une légitimité d’apparence suffisante pour garantir la fidélité de l’appareil étatique et ainsi, dans un aveuglement généralisé, le mettre au service des intérêts de ceux qui vous ont choisi. Suffisamment cyniques et intéressés pour eux-mêmes nourrir la machine de pouvoir sans ne jamais trahir ni dénoncer – c’est ce qui explique la multiplication des marques d’affection que M. Macron a donné suite à son départ à M. Benalla –, suffisamment bien rémunérés et protégés pour à aucun moment ne s’interroger sur les fondements de la politique appliquée, et des spoliations ainsi menées ; ayant, en somme, suffisamment à gagner pour vous vendre leurs atouts et qualités.
Or M. Macron, qui était singulièrement jeune et ne s’était fait maître d’aucun parcours en propre lui permettant d’avoir construit et de pouvoir revendiquer de telles fidélités – c’est ce qui expliquera par ailleurs son appel à des baronnies empruntées, dont M. Collomb fut la plus importante, et la précarité d’un dispositif qui ne pouvait que s’effondrer – a dû constituer artificiellement ce vivier, ce qui l’a amené à quelques erreurs, comme le recrutement de M. Benalla par M. Chaker, lui-même recruté par M. Emelien. Propulsé, il a dès lors dû puiser en un cet autre pan de l’oligarchie qui avait elle aussi à défendre ses intérêts, n’avait pas les moyens ni les relais des oligarques que nous avons mentionné, mais cherchait à s’y lier, et bénéficiait d’une inscription au sein de la technostructure qui servirait idéalement M. Macron.
L’affaire fonctionne ainsi en amont et en aval de Monsieur Macron. Ludovic Chaker a été le point de contact invisible d’un dispositif couronné par un certain Jean-Pierre Jouyet – dont la mainmise sur la technostructure était la seconde mamelle du macronisme – et mis en œuvre par un certain Ismaël Emelien – qui se chargera lui de mettre en branle, en une coopération souvent forcée avec M. Séjourné, la mobilisation des anciens réseaux strauss-khaniens[efn_note]Si M. Chaker est le point de contact par le bas, M. Kohler, secrétaire général de l’Élysée, le sera par le haut. Choisi par Macron avec l’assentiment Jean-Pierre Jouyet comme directeur de cabinet lors de son arrivée à Bercy, celui qui fut l’adjoint du second à la direction du trésor avant de devenir directeur de cabinet de Pierre Moscovici – où il pilotera la mise en œuvre du CICE décidée par M. Macron – est nommé en 2017 secrétaire général de l’Élysée, où il deviendra l’âme damnée de M. Macron.[/efn_note]. Repéré et recruté par Richard Descoings à SciencesPo, institution publique, au sein d’un dispositif de pouvoir partiellement décrit par Raphaëlle Bacqué dans son ouvrage Richie, lui aussi publié chez Grasset, il y fut propulsé responsable de l’Asie, et y rencontrerait une certaine Édith Chabre, qui le présenterait à un certain Édouard Philippe et une certaine Brigitte Taittinger-Jouyet, héritière de l’une des plus importantes familles industrielles de France, recrutée à SciencesPo pour, de dîner mondain en événement hippique dans le petit Paris, alimenter en levées de fond les caisses de SciencesPo, tandis que son mari, Jean-Pierre Jouyet, puissant directeur du trésor devenu le très puissant directeur de l’Inspection des Finances, puis le tout puissant secrétaire général de l’Élysée, mobilisait ses réseaux pour soutenir Emmanuel Macron, parfois à la limite de la légalité.
M. Jouyet a rencontré M. Macron suite à la sortie de ce dernier de l’ENA, qui l’a vu être affecté au même « corps » d’origine que celui de M. Jouyet, corps que ce dernier se trouverait par ailleurs diriger l’année d’après. Intrigué par un jeune homme déjà soutenu par des êtres plus puissants que lui et montrant une ambition sans fards, M. Jouyet se décide à lui offrir l’intérim de la toute-puissante Inspection des finances, alors que lui-même, qui se disait pourtant socialiste jusqu’alors et le meilleur ami de François Hollande[efn_note]Qui lui avait lui-même cédé sa place à l’inspection des finances pour qu’il pût par la suite lui faire la courte-échelle et qu’il retrouverait peu après.[/efn_note] était nommé secrétaire d’État aux affaires européennes auprès de Nicolas Sarkozy. Cela a peut-être été dit, mais si Emmanuel Macron s’est vu offrir pendant cette période d’entrer au cabinet du premier ministre d’alors François Fillon, c’est par le truchement de la même personne – Jean-Pierre Jouyet – qui le ferait rentrer à l’Élysée sous François Hollande[efn_note]L’affaire est encore plus signifiante si l’on y ajoute le nom d’Antoine Gosset-Grainville, pantouflard devenu avocat ayant accueilli M. Macron lorsque ce dernier quitta le ministère de l’Économie. Ce dernier, loin de vouloir créer une « start-up dans l’éducation », se trouva au contraire prêt à se lancer en une carrière juteuse en tant que conseil auprès de grandes multinationales afin de les aider à remporter leurs contentieux contre l’État, obtenir des mandats de privatisation, etc. C’est cet être qui proposera formellement la nomination de M. Macron à Matignon, ce que M. Macron lui revaudra en lui proposant la direction de la caisse des dépôts. M. Gosset-Grainville refusera pour conserver des émoluments littéralement captés au détriment de l’État.[/efn_note].
Ainsi vont les choses dans le petit Paris, sans égard pour les « distinctions partisanes » que le peuple tenterait de mettre en œuvre, principe démocratique qui devient peu de chose lorsqu’il s’agit de s’entraider et d’avancer entre amis. L’on commence à comprendre d’où est né l’« en même temps » de Macron. L’entourloupe qui fut utilisée pour enguirlander une population entière ne fut que le prétexte à une fusion d’élites jusque là éclatées, condensation d’intérêts au service d’une endogamie galopante là où les journalistes les plus naïfs – ou les plus compromis et confortablement installés en un système qu’ils ne voulaient pas changer – présentèrent un signe de progressisme et de modernité.
Il faut mesurer l’ampleur de la révolution que proposait M. Macron, à l’heure où le système s’effondrait : garantir, contre l’inféodation, une permanence des privilèges et des positions, là où les élites se menaient jusqu’alors des guerres régulières, devant s’asservir à l’un ou à l’autre tous les cinq à sept ans, se trouvant asséchées et condamnées à chaque alternance, réduites à des périodes de disettes, forcées à de périlleuses contorsions si elles souhaitaient s’embrancher au nouveau pouvoir après avoir servi le précédent. Comprenons maintenant la densité des éloges que reçut Emmanuel Macron de la part de cette classe émerveillée, en un processus inauguré par M. Sarkozy, qui savait ce qu’il avait à compenser pour se faire accepter par ces élites qui le méprisaient.
Mais nous nous précipitons, et à l’heure dont nous parlons, M. Jouyet se contente de présenter M. Macron à sa famille et sa femme – et par là-même à l’une des plus grandes dynasties financiaro-républicaines du siècle – et à l’intelligentsia de SciencesPo, dont M. Descoings est le directeur, SciencesPo où M. Macron se voit proposer, comme tout énarque sorti dans les grands corps, d’enseigner un vague cours qu’il choisira de culture générale pour y mettre pied, avant de se voir offrir la direction du module pour compléter ses salaires et commencer à y placer ses pions. M. Jouyet donc, tenant d’une idéologie libérale faisant les affaires de sa famille d’adoption, premier initiateur de la stratégie d’écrasement des processus démocratique qui prit, sous Sarkozy, la terminologie « d’ouverture », et sous Macron, « d’en même temps », et que M. Hollande ne sut endiguer, qui, outre l’introduction en les dîners en ville donnés par sa femme, donne rapidement au jeune intrigant la possibilité de placer et répartir ses camarades de cordée à l’IGF (Inspection Générale des Finances), violant pour cela la coutume – seul le major, que Macron n’était pas, a normalement droit à ce privilège – avant de le faire nommer à Bercy après l’avoir introduit à l’Élysée via Jacques Attali.
Jacques Attali dont Emmanuel Macron avait été nommé le rapporteur de la mission éponyme par la grâce de ce même M. Jouyet, afin d’être introduit auprès du gotha économique et financier du pays secondaire – c’est-à-dire celui qui se trouve en seconde file, et dépend ou se soumet avec grande régularité aux fortunes que nous avons évoqué – et de, muni de ce carnet d’adresses, se faire recruter chez Rothschild, d’y faire fortune en mobilisant les contacts que la commission Attali venait de lui attribuer, pour préparer sans angoisse cette même intronisation politique que M. Jouyet venait d’anticiper sans le savoir et autoriserait peu après – le tout tandis que M. Hermand finançait sa vie privée.
M. Jouyet donc, dont la femme, Brigitte, outre ses excellents talents d’entremetteuse et d’héritière, exerce à SciencesPo à quelques pas d’une certaine Édith Chabre, recrutée et nommée directrice de l’école de droit par Richard Descoings, et dont il se trouve probablement par hasard là aussi qu’elle est à la ville la femme d’Édouard Philippe, adjoint et futur successeur du maire du Havre dont la ville, sans que l’on comprît si M. Philippe rendait par là service à Richard Descoings et sa femme Nadia Marik qui avaient recruté sa femme à lui ou l’inverse ou si tout cela n’était que le fruit du hasard, financerait la création et le fonctionnement d’une antenne de SciencesPo[efn_note]Le simple aménagement des locaux a coûté 11 millions d’euros, financés par la région à hauteur de 6 millions, la communauté d’agglomération à hauteur de 3,5 millions et la mairie à hauteur de 1,5 millions.[/efn_note] dans sa ville et inaugurerait plus tard une stèle en hommage à Richard Descoings où je serais convié en présence de Nadia Marik et probablement – ma mémoire défaille, de Ludovic Chaker – Nadia Marik devenue entre-temps veuve de celui qui avait été à la ville l’amant de Guillaume Pepy, patron de la SNCF et relais oligarchique secondaire et assurantiel de gauche, devenu via l’amour de sa vie Richard Descoings très proche de Jean-Pierre Jouyet, et par là-même intronisateur dans le grand monde de Laurent Bigorgne, propulsé président de l’Institut Montaigne après avoir été considéré comme le successeur de Richard Descoings – Laurent Bigorgne dont la femme déposerait les premiers statuts d’En Marche à la Préfecture, En Marche, domicilié chez eux dont Ludovic Chaker, nous l’avons vu, serait le premier secrétaire général, Laurent Bigorgne, chargé de rallier le CAC40 à la Macronie et de mettre au service de M. Macron l’Institut Montaigne, institut théoriquement neutre inondant l’espace public d’analyses néolibérales faisant les affaires des oligarques le finançant, par ailleurs vice-président de l’association Teach For France créée par la sœur d’Alain Weil et récupérée par Nadia Marik, au comité d’administration où siégeaient notamment Maurice Levy, PDG de Publicis, Emmanuelle Wargon, alors directrice du lobbying chez Danone et Patricia Barbizet, PDG de Artemis – la holding de François-Henri Pinault, l’on commence à comprendre pourquoi Le Point aurait été là aussi réticent à nous publier, même si l’on se retiendra à cet instant de détailler à quel point elle fut, sans que la famille Pinault ne le comprît tout à fait, le relais du pouvoir en ces eaux là, ce qui expliquerait son éviction ; Laurent Bigorgne donc, homme de droite intronisé par Richard Descoings dans le gotha, ex-futur successeur de Richard Descoings jusqu’à ce que son décès force à la nomination de Frédéric Mion – proche de Richard Descoings et parrain des enfants d’Édouard Philippe et d’Édith Chabre – pour cacher la poussière, ayant amené à Teach for France Maurice Levy, PDG de Publicis et présenté comme un conseiller d’Emmanuel Macron pendant sa période ministérielle1 ; Patricia Barbizet, femme la plus puissante de France et proche amie de Brigitte Taitinger-Jouyet, et donc Emmanuelle Wargon, depuis nommée secrétaire d’État d’Édouard Philippe après ses fonctions d’influence chez Danone, comme ce dernier en avait occupées chez Areva, après avoir été présentée par Nadia Marik à Édith Chabre, et à Édouard Philippe par Édith Chabre.
