
Pourquoi cela est-il si important ? Car cela nous permet de comprendre comment opère Monsieur Niel, qui prétend ne jamais intervenir dans les contenus produits par ses journaux – ce que ne prennent même pas la peine de faire M. Dassault, propriétaire lui du Figaro après le rachat par son père du groupe de Robert Hersant, et dont on sait quels accords il tissa avec un autre homme politique, M. Valls, pendant cette période via son père et auparavant ; ni M. Lagardère, ni M. Arnault. Cela pourrait nous sembler mieux, c’est en fait pire, car cela entretient une illusion que les journalistes s’époumonent à défendre contre toute évidence, celle d’un libre-arbitre qui serait par tout cela préservé, et dont il faut absolument se défaire, illusion sur laquelle Mediapart jouerait grandement, en publiant une vraie-fausse grande enquête sur M. Niel qui ferait pschit, avant de s’en désintéresser à jamais ; illusion sur laquelle Le Monde tenterait de jouer à son tour en publiant une grande enquête sur M. Kretinsky lors du rachat par ce dernier des parts d’un autre petit oligarque, Mathieu Pigasse ; feignant de croire que c’était cela que, par ces rachats, que M. Niel et M. Kretinsky cherchaient à éviter ; aveugles à l’influence politique, bien plus importante, qu’ils cherchaient en fait à acheter et qui valait bien ces quelques menus dérangements.
Cela est bien pire, car à quoi bon intervenir directement sur les contenus, lorsque l’on peut s’appuyer sur des hommes et femmes de main comme Michèle Marchand, invisibles jusqu’à l’ouvrage de septembre 2018 ? À quoi bon, lorsque l’on sait pouvoir intervenir indirectement dans la production de l’information par le truchement d’un homme de main, Louis Dreyfus, qui s’est trouvé un temps à la fois directeur général du Monde, de l’Obs et des Inrockuptibles, excusez du peu, en charge, en tous ces journaux, du recrutement et du licenciement, des promotions et mises au placard de tous les journalistes des plus prestigieuses rédactions de Paris, où tous les journalistes de France rêvent d’être recrutés ?
Xavier Niel ne censure jamais un article. À quoi bon, lorsqu’il est possible de le faire censurer – par les réseaux mafieux de Michèle Marchand, par les pressions ou craintes de pression de M. Dreyfus, par l’autocensure de tous ceux qu’il a soigneusement, avec ses camarades oligarques, précarisés et pressurisés ? Pourquoi prendre le risque d’apparaître alors qu’il suffit de donner instruction à tel ou tel de faire licencier et recruter les journalistes qui auraient l’heur ou le malheur de lui plaire ou déplaire ; de demander à Madame Marchand de faire disparaître telle ou telle information, ou décrédibiliser tel ou tel opposant, sans que personne ne puisse deviner que c’était sur son instruction que ses hommes de main à elle agiraient pour intimider, détruire ou galvauder ; et, en jouant sur la précarité d’une profession veule et servile, maintenue aux abois par sa lâcheté, mais surtout par l’accumulation de concentrations capitalistiques, plans sociaux et pressions sur les salaires toujours plus accrus, de s’assurer que personne ne prendrait le risque de trop s’y opposer ? À quoi bon, alors qu’il lui a suffi d’acheter les plus importants titres de presse du pays pour se placer en haut de la chaîne alimentaire et s’assurer qu’aucun ambitieux ne s’attaquerait jamais sérieusement à lui, là où en toute société saine, M. Niel comme tout autre oligarque aurait été perçu au contraire comme un trophée de guerre pour tout journaliste cherchant à se faire un nom ?
À quoi bon, alors que le plus important est bien de pouvoir, de déjeuner en déjeuner permis par l’influence qu’on lui prête, influencer les hiérarques du régime, mais aussi suggérer en retour à l’homme de main l’intérêt qu’il aurait à porter à tel homme politique ou dirigeant, suggestion qui se verra colportée auprès du directeur de la rédaction, qui à son tour, et ainsi de suite – l’air de rien, chacun ignorant volontairement à qui cet intérêt d’apparence innocent pourrait servir – jusqu’à enfin arriver au journaliste à qui sera commandé un article, lui-même maintenu dans l’ignorance des mécanismes ayant fait naître cet intérêt, comme cela arriva pour M. Macron, charge à ce dernier d’ensuite récompenser comme il le faudra son protecteur bien aimé ?
*
Tout cela, on prétend le découvrir, mais c’est une façon de parler. Car la toute-puissance a ses défauts, et si Xavier Niel, m’annonça en personne dès janvier 2014, alors qu’Emmanuel Macron n’était que secrétaire général adjoint de l’Élysée et inconnu du grand public, qu’il deviendrait président de la République, alors on peut imaginer que je ne fus pas le seul à être mis au courant. Et qu’il y aurait eu tout intérêt à, dès ce moment là, le faire savoir, pour prévenir tout conflit d’intérêt, et comprendre d’où venaient toutes les marques d’estime qui recouvriraient l’intrigant concerné.
Là où le fondement même de notre système démocratique a été atteint, la presse se contente de relever les liens de corruption ou de dénoncer les stratégies fiscales erronées. Personne ne semble se troubler que l’on continue à dire que M. Niel, la famille Arnault et les Macron se seraient rencontrés pour la première fois six mois après que M. Niel m’ait indiqué que son ami Emmanuel Macron deviendrait président de la République, et qu’ils l’auraient fait – comble de l’absurdité – lors d’un dîner à New York ou Los Angeles, information que tous, sans ne l’avoir jamais vérifiée, ne cessent pourtant de relayer depuis que M. Bourdin a forcé les journalistes à faire semblant de s’intéresser à ces sujets, comme pour mieux étouffer tout cela.
Personne ne cherche à véritablement enquêter sur tout cela, alors que pour la première fois, un pouvoir s’est institué en une grossière et évidente oligarchie.
*
Vous saturez ? Et pourtant, cela n’est pas tout ! Et ce n’est même que le début. Car le beau-père putatif de Xavier Niel, Bernard Arnault, qui s’est permis le luxe de recruter le tout puissant ancien directeur des services secrets du pays, Bernard Squarcini, au sein de LVMH pour en faire son « monsieur sécurité » – ce même M. Squarcini qui continue d’appeler ses anciens subordonnés pour leur demander des informations sur telle ou telle personne, et qui pour cela s’apprête à être condamné, car les magistrats du siège sont peut-être le dernier corps de fonctionnaires « d’élite » à ne pas avoir été absorbés par l’oligarchie – Bernard Arnault donc, a mis au service du candidat Macron son appareil de sécurité pour compléter la protection que lui offrait médiatiquement, via son gendre Xavier Niel, Michèle Marchand. Cela est certes plus intéressant que de savoir que LVMH habille Brigitte Macron – de bonne grâce – mais étrangement, c’est la seconde information et non la première qui ne cesse d’être racontée – sans que personne ne trouve d’ailleurs à s’en indigner.
Pourtant, s’interroger sur et dénoncer le fait que notre première dame se soit muée en enseigne publicitaire mouvante pour LVMH et LVMH exclusivement, abusant en cela de ses fonctions, créant un conflit d’intérêt évident, pourrait être un premier pas. Un premier pas qui aurait permis de remonter aux basses œuvres de M. Squarcini, mais peut-être aussi au-delà. Qui aurait amené à s’interroger, et dès lors découvrir, que M. Arnault connaissait en fait Brigitte Macron bien avant Xavier Niel, qu’il a en fait présenté M. Macron à Xavier Niel, par l’intermédiaire de Brigitte Macron qui s’était faite la professeure de ses enfants au sein du très sélectif et fermé lycée privé Franklin, temple de l’oligarchie où se forment les héritiers de l’élite du pays ; et que c’est en fait bien Bernard Arnault, via Delphine Arnault, et non l’insignifiant Pascal Houzelot, comme le prétend l’ouvrage Mimi, qui a fait se connaître Xavier Niel et Emmanuel Macron en premier. Et l’on comprend donc que non contents de cacher des informations, nos joyeux impétrants du landerneau média-tique s’amusent à en relayer des fausses pour cacher les réseaux, compromissions et conflits d’intérêt qu’ils prétendent exposer et contrôler.
