Quand les cours boursiers sont ouvertement manipulés

On appelle ça « l’arrachage des cours ». C’est-à-dire qu’à un moment donné, généralement en fin de séance (car ce sont les chiffres de fin de séance que retient l’opinion), les cours en bourse font soudain un bond de plusieurs dizaines de points sans que rien, absolument rien dans la conjoncture ne justifie ce sursaut spectaculaire.

Le très respectable Cercle Finance s’en émeut et en donne une illustration symptomatique avec ce qui se passa le 31 mai 2011 à Wall Street. Dans la demi-heure précédant la clôture, notre Dow Jones s’envola de 63 points, permettant une hausse confortable de l’indice journalier.

Le moindre point vaut des millions (de pacotilles)

Pourtant, au même instant, tous les indicateurs économiques censés être reflétés par ces cours boursiers étaient médiocres, sinon franchement mauvais : grave rechute des prix de l’immobilier dans un marché immobilier américain à nouveau au bord du gouffre, nouvelle dégradation de la confiance des ménages, baisse plus forte que prévu de l’ISM manufacturier de Chicago…

Mais alors pourquoi, s’interrogeront les esprits curieux ? On notera d’abord que le « miracle » se déroulait en fin d’une séance journalière, mais aussi au dernier jour d’un exercice mensuel. Non seulement ce sursaut du Dow Jones permettait un gain journalier opportun de 1,05 %, mais contribuait aussi à limiter médiatiquement la perte mensuelle du Dow Jones à -1,5 % sur un mois de mai calamiteux.

Peccadilles, jugeront les profanes, en oubliant que leur modeste livret A ne leur apporte pas plus… sur un an ! Peccadilles aussi sans doute pour le boursicoteur d’occasion. Mais certainement pas pour les investisseurs institutionnels où le moindre point vaut des millions ! Enfin, des millions de pacotilles, puisque plus rien en ce bas monde de turlupins n’a de sens.

Manipulations informatiques

Mais alors comment, s’étonneront les plus sourcilleux ? L’incontournable Paul Jorion nous fournit un élément de réponse avec ce qui se passa le 6 mai 2010 à Wall Street, lors d’un plongeon brutal et instantané d’environ 10% du Dow Jones, suivi dans la foulée d’une remontée tout aussi stupéfiante.

Problème informatique, clamèrent tous les spécialistes pour expliquer ce krach déroutant. Oui, dit Paul Jorion, mais si l’informatique intervient bien dans l’affaire, c’est dans les deux sens. Aujourd’hui, la plupart des opérations en bourse ne s’effectuent plus par quelques courtiers aboyant à la corbeille, mais par des systèmes automatisés (« high frequency trading ») réagissant à la micro-seconde.

En cas de trop forte et brutale variation, le système des high frequency trading se bloque, accentuant la chute quand il y a chute. À l’inverse, ils sont prompts à pallier les effets dévastateurs d’un krach inopiné (exemple du 6 mai 2010) ou à donner le cas échéant un petit coup de pouce stratégique bien opportun à des cours anémiques (exemple du 31 mai 2011).

« La manipulation à outrance des indices boursiers par quelques très influentes firmes financières dotées de puissants outils informatiques ne cherche même plus à se faire discrète, ni même à s’abriter derrière quelques alibis un tant soit peu convaincants. » (Cercle Finance)

L’ère des faux-semblants

Mais alors dans quel but, s’alarmeront les pointilleux ? Ben, juste pour gagner du temps. S’illusionner. Comme le sinistré accroché à un frêle bosquet au-dessus du précipice. Comme le ministre Bertrand (Travail, Emploi, Santé) s’échinant à maquiller les chiffres du chômage réel pour essayer de donner le change à la catastrophe sociale.

Aujourd’hui, ami lecteur, dis-toi bien que tout ce petit monde polichinelle NE PEUT PLUS se permettre de lâcher la MOINDRE mauvaise nouvelle, le MOINDRE indice de sa chute, sauf à la précipiter ! D’où les pitreries grotesques de notre ministre Lagarde, invétérée optimiste par instinct animal de survie.

Car quelles que soient les dorures artificielles dont on pare le moribond, les faux-semblants ne peuvent qu’être sans lendemain, les cancers demeurent obstinément et se répandent : dettes grecque, irlandaise, portugaise, quota d’endettement américain dépassé et toujours pas solutionné…

Le bal des bouffons se poursuit, frénétique, surréaliste, déconnecté de toutes réalités économiques ou sociales, sur un champ de ruines de plus en plus pestilentiel. Autant de ferments irrépressibles pour les révolutions arabes, espagnoles… Et suivantes.

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