Chronique de la révolution égyptienne par un « voyageur à domicile »

Le propre du « voyageur à domicile » n’est pas de décrire des évènements lointains en s’y immergeant ou en s’y impliquant. Mais d’en faire la chronique de son point de vue à lui. C’est-à-dire de son trottoir ou de son comptoir. Avec ses compagnons de chemin ou d’apéro. À cet égard, les réactions à la révolution égyptienne (après la tunisienne) sont éclairantes.

Comme un match à la télé

Il y a bien sûr les enthousiastes, les supporters (dont, reconnaissons-le, je suis sans modération), ceux qui suivent les épisodes et leurs rebondissements comme un match à la télé.

Ceux-là s’enfièvrent, s’extasient, applaudissent, retiennent leur souffle, poussent, encouragent, commentent, vivent les évènements par procuration, se libèrent de désirs trop longtemps refoulés, se laissent finalement aller à un doux délire.

« Peuples du monde entier, ne nous laissons plus abuser, suivons l’exemple de la Tunisie, de l’Égypte et de ceux chez qui germe une juste révolte contre les dictateurs et exploiteurs » (Danielle29)

D’autres intègrent l’évènement à leur propre démarche, se l’approprient, le nationalisent en quelque sorte, le brandissent en étendard, l’adaptent à leurs ambitions, le ramènent sur leurs trottoirs ou leurs comptoirs, le récupèrent à leur profit, mais pour tenter d’en amplifier l’impact.

« La révolution est de retour. La question n’est pas si elle viendra, mais quand elle viendra chez nous. » (Jean-Luc Mélenchon.)

De quelques aigreurs dans le camp des perdants

Et puis il y a les autres, les partisans déconfits de l’autre camp, où ceux qui font mine de se tenir à l’écart du match, mais sont emportés malgré eux par le tourbillon déchaîné. Ceux-là freinent des quatre fers, retournent à l’occasion leur veste, récupèrent eux aussi l’évènement, mais à l’inverse, pour en atténuer ou en détourner la portée, quitte à modifier quelque peu l’ordre et le contenu des épisodes.

« Eh bien, bonjour à tous, ce matin nous allons encore hélas… ou peut-être heureusement, nous n’en savons encore rien, parler de l’Égypte… Il y a quand même une exception [à la prudente circonspection des pays occidentaux, ndlr], c’est le président Obama. Celui-ci s’est porté en avant à accepter d’attaquer Moubarak à un moment où les choses n’étaient pas en train de basculer » (Alexandre Adler)

Enfin, les amers, les vaincus, ceux qui prennent acte (et pour cause) d’une victoire qui n’est pas la leur, mais essaient immédiatement d’en annihiler le retentissement, le dépouillent rageusement de toute exaltation et de tout espoir à venir. Soit par aigreur de perdants. Ou pour justifier le fait qu’eux ont renoncé depuis longtemps à être un jour des gagnants.

« Dans quelques mois vous verrez que le “peuple” se sera fait enfler de toutes parts en croyant récupérer de la justice, de la liberté, de la démocratie… » (reptilien lol)

La morale de la chanson…

Je ne sais pas, vous, mais ce genre de commentaires tout en acrimonie me fait irrésistiblement penser à cette chanson de Brassens, Marquise, où le vieux tragédien Corneille disait à une jeune femme qu’elle aussi, un jour, se ferait « enfler » par l’outrage du temps.

« Le temps aux plus belles choses
Se plaîst à faire un affront :
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front. »

Retenons en riant la réponse de la jeune femme :

« Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant
J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t’emmerde en attendant. »

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.