Chérie, j’ai rétréci la retraite !

Le gouvernement Macron m’incite à republier l’histoire de Margaret écrite il y a plus de 5 ans. Des dangers de la retraite par capitalisation.

« Le système produit peu de sécurité, de très basses retraites, le seul bénéficiaire est le secteur financier. » (Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie)

Margaret vient passer sa retraite en France. C’est so fun [chouette] de quitter les brumes londoniennes to enjoy [profiter] le soleil du sud-ouest. Elle achète une grande maison inhabitée depuis des années. La maison est très chère. On est dans ces années où la moindre bicoque au soleil se vend au prix de l’or. Mais qu’importe. La vente du home londonien, au prix du platine serti de diamants, permet de ne se soucier, ni du prix de la maison, ni du coût coquet de la rénovation.

Margaret se livre à la location de chambres d’hôtes. Pas pour le pognon — ne pas comparer le montant astronomique investi et la modestie des nuitées — mais pour le plaisir des rencontres. Margaret accueille des compatriotes, touristes ou personnes en quête du home sweet french home.  

Margaret jouit de sa retraite en papotant avec ses hôtes autour d’une tasse de thé. Les premiers nuages surviennent quand une modification du taux de change entre l’euro et la livre ampute brutalement sa retraite de 20%. Une partie du voisinage british de Margaret, qui l’a un poil saumâtre, retourne vivre dans la perfide Albion. Le marché immobilier rural commence à donner de sérieux signes d’essoufflement. Il devient de plus en plus délicat de vendre. D’autant que, si les vendeurs sont de plus en plus nombreux, les acheteurs se font de plus en plus rares. Et puis arrive 2008 et le chambardement des subprimes où Margaret va morfler. 

Oh j’ai oublié de te dire que le plus clair de la retraite de Margaret lui est servi par un fond de retraite. Qui a très beaucoup investi dans des produits financiers hautement rentables mais aussi hautement spéculatifs. Et les Américains ont eu un talent fou pour refiler worldwide [dans le monde entier] du papier qui se révèle être… du papier. Le fond de pension de Margaret disparaît tout bonnement dans la fumée du papier qui ne vaut même plus l’allumette pour y mettre le feu. 

C’est comme ça que Margaret voit maigrir sa retraite. Ne lui reste qu’un machin qu’on nommerait approximativement minimum vieillesse chez nous. Plus question de prendre la voiture ou l’avion pour retourner quelques jours à Londres faire sauter ses petits-enfants sur ses genoux avec quelques six cents euros mensuels. Margaret réalise alors que les chambres d’hôtes lui coûtent plus d’euros qu’elles ne lui rapportent de livres de sa gracieuse majesté. Ce qui la contraint à cesser son activité. 

Quand tu habites une campagne so sunny [si ensoleillée] mais fort dépourvue du moindre commerce comme du moindre transport public, tu dois prendre la voiture pour acheter du pain, des poireaux ou passer chez le pharmacien. Avec six cents euros mensuels, tu trouves que le plein, qui revient si souvent, est d’un coût himalayen. La grande maison se révèle trop coûteuse pour la retraite rétrécie de Margaret. Elle se décide à la revendre de mauvaise grâce. Les prix ruraux sont bas alors que Margaret a acheté au plus haut et fait de coûteux travaux. Alors elle va laisser dans les murs de cette maison le plus clair du capital engagé. 

– Je n’ai plous beaucoup de l’argent mais je ne suis pas la plous à plaindre. Je connais des amis in dire straits [dans une situation désespérée]. Je repars à Londres où mes quatre enfants peuvent tous me loger. Je vais passer une saison chez chacun d’eux. Je n’aurai plous le soleil mais j’aurai mes petits-enfants full time. 

On va nous ressortir la chanson. C’est de saison. La solution aux misères du régime de retraite par répartition, c’est le développement de fonds de retraite oùsque tu vas mettre tes éconocroques qu’on te reversera quand tu seras rentier. Le défunt mari de Margaret a « placé » une petite fortune durant sa vie de cadre. Le fond de pension versait à Margaret près de quatre mille euros chaque mois. Avant de passer brutalement à zéro shilling. Songe donc à Margaret quand on te chante la « retraite par capitalisation ». Y’a un sacré bémol à la clé qu’on oublie toujours de te signaler.

Et si tu penses que les Français sont si tellement plus futés que ces couillons de British, mon grand-père a « capitalisé » pendant de longues années avant la création de la retraite des vieux. Hé bien La Séquanaise, c’était le nom de son assurance-retraite, ne lui a jamais reversé le moindre centime. À l’époque mon grand-père a eu la chance de percevoir plein pot une retraite par répartition, fraîchement créée, à laquelle il avait pourtant fort peu cotisé.


« Quand un p’tit gars de Saint-Dilon / Prend sa course après une fille / I’ la fait virer si vite / Qu’elle ne peut plus s’arrêter / Pour un p’tit air de violon / A’ vendrait toute sa famille. » Pour fêter son anniversaire, 90 ans à la première neige, Gilles Vigneault chante « La danse à Saint-Dilon ».

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