Ce n’est pas la violence qui mène au chaos, mais l’inverse

Voici que tous semblent tomber des nues : la France est menacée par le « chaos », « l’insurrection » y pointe le bout de son nez, l’expression de « guérilla urbaine » est soudain dépouillée de ses guillemets.

Et les bonnes âmes tremblantes de s’effaroucher, de crier haro sur les casseurs sans voir qu’une partie de ceux-là sont leurs enfants. Et d’envoyer, pour mater les mutins, des « forces de l’ordre » qui n’hésiteront pas à tirer au flash-ball sur des mômes de seize ans.

Cette sourde montée de la violence n’est pourtant pas sortie d’un chapeau de magicien. Rappelez-vous, l’an passé, la violence des « Conti » saccageant la préfecture de Compiègne, les séquestrations de cadres et les menaces de dynamitage d’usine à la bouteille de gaz, l’interminable fronde des étudiants.

Est-ce ces explosions de violence qui conduisirent à la fermeture de l’usine Continental de Clairoix, qui gonflèrent les rangs de Pôle d’emploi, qui saccagèrent notre Éducation nationale ?

Le chaos, nous y sommes

Hypocrites, naïfs, autruches que nous avons été de ne voir, ni ne vouloir voir venir le chaos. Le chaos, aujourd’hui, nous y sommes.

Un chaos proprement organisé par une bande de malfaisants sans foi ni loi qui ont :

  • délocalisé nos outils de production dans des pays où l’esclavage des mômes subsistait au nom de la liberté et de la rentabilité ;
  • transféré l’argent public dans des poches privées (la dette publique, c’est exactement ça ! ) ;
  • laminé  les services publiques, fermé des hôpitaux, supprimé  des postes d’enseignants et des classes, rayé des tribunaux, ruiné les dernières protections sociales.

Tout ça sous les régimes de droite comme de pseudo gauche, accompagné par des organisations syndicales lénifiantes, et avec la bénédiction d’une majorité d’électeurs désemparés qui n’a rien trouvé mieux que de se donner pour guide le plus ridicule des malfaisants. Le tout sur fond de délabrement moral et intellectuel.

Aucune solution de rechange institutionnelle

Ce qui frappe le plus aujourd’hui, ce n’est pas la catastrophe en elle-même, mais le fait que nous ayons tous perdu la main sur notre destinée. Petits comme puissants. Car derrière leurs rodomontades, ceux-là suent le désarroi et l’impuissance.

Plus de contre-pouvoir politique (la sociale-démocratie est aujourd’hui à la tête du FMI), ni médiatique (médias du microcosme tous aux mains des puissances d’argent), ni syndical (trop occupé à sauver ce qui reste de ses vieilles prérogatives).

Lors des derniers scrutins européens, dans des pays où la situation est tout aussi calamiteuse, ce n’est pas les forces progressistes qui ont effectué une percée significative, mais les puissances régressives.

Arme du désespoir, du cynisme… et de toutes les reconstructions

Voilà pourquoi la violence naît du chaos et non l’inverse. Par désespoir, par calcul cynique des pouvoirs en place quand ils se sentent désarçonnés, mais aussi parce que de tous temps elle a été la seule arme de reconstruction quand les paysages étaient par trop dévastés. La violence, disait Camus, ne peut être légitimée, mais ne peut non plus être évitée.

C’est par la radicalisation des grèves de 1936 qu’ont été arrachés les premiers congés payés. C’est par la guerre que notre pays a été libéré du joug nazi et que le Conseil national de la résistance a pu imposer les protections sociales élémentaires. C’est par la violence des manifestations de 1968 qu’ont été obtenues des lois déterminantes d’émancipation féminine.

Aujourd’hui, la Grande Crise mondialisée propage inexorablement ses métastases. Notre pays est loin d’être le seul touché, mais il l’est. Nos pouvoirs politiques sont hagards. Nos institutions et notre organisation sont à l’agonie.

Une étape douloureuse mais incontournable

Une agonie ne se déroule jamais de façon linéaire. Elle est longue, douloureuse, alternant périodes de chute inexorable et illusoires intermèdes de rémission. Que le mouvement de radicalisation actuel s’essouffle et il se trouvera quelques indécrottables esprits éclairés pour railler les prédictions des aboyeurs de fin du monde.

Pourtant il n’est nulle question ici d’annonce de fin du monde, ni d’apocalypse. Mais du constat désormais vérifié de la fin d’UN monde. Et de la nécessité de commencer à bâtir les fondations de celui qui le remplacera.

Cette reconstruction passera, hélas, par l’étape incontournable de la violence. Les peuples et leurs dirigeants n’ont pas, n’ont jamais eu, les moyens intellectuels et mentaux de s’en épargner les tragédies.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.