Les tentatives dérisoires des hyper-riches pour échapper à l’effondrement

L’homme s’appelle Douglas Rushkoff. Écrivain, journaliste, spécialiste de la société de l’information, il fut invité à prix d’or dans une grande chaîne hôtelière américaine d’hyper-luxe pour y discourir sur « l’avenir de la technologie ». Mais le public qui l’attendait n’était pas exactement celui qu’il imaginait…

Plutôt qu’à un parterre de banquiers fortunés préoccupés d’investissements, Douglas Rushkoff fit face à cinq personnalités ultra-riches – « uniquement des hommes » – tous issus des plus hautes sphères de la finance internationale. Et ceux-là n’étaient pas venus pour l’écouter, mais pour qu’il réponde impérativement à leurs obsédantes questions :

« Quelle sera la région du monde la plus épargnée par la prochaine crise climatique : la Nouvelle Zélande ou l’Alaska ? Est-ce que Google construit réellement un nouveau foyer pour le cerveau de Ray Kurzweil ? Est-ce que sa conscience survivra à cette transition ou bien mourra-t-elle pour renaître ensuite ? Enfin, le PDG d’une société de courtage s’est inquiété, après avoir mentionné le bunker sous-terrain dont il achevait la construction : « Comment puis-je conserver le contrôle de mes forces de sécurité, après l’Évènement ? » »

Pour ces gens, précise Douglas Rushkoff, « l’Évènement », c’est bien évidemment l’effondrement en cours du monde capitaliste occidental et son cortège de cataclysmes environnementaux, sociaux, nucléaires, épidémiques, informatiques…

« Cette question allait nous occuper durant toute l’heure restante. Ils avaient conscience que des gardes armés seraient nécessaires pour protéger leurs murs des foules en colère. Mais comment payer ces gardes, le jour où l’argent n’aurait plus de valeur ? Et comment les empêcher de se choisir un nouveau leader ? Ces milliardaires envisageaient d’enfermer leurs stocks de nourriture derrière des portes blindées aux serrures cryptées, dont eux seuls détiendraient les codes. D’équiper chaque garde d’un collier disciplinaire, comme garantie de leur survie. Ou encore, si la technologie le permettait à temps, de construire des robots qui serviraient à la fois de gardes et de force de travail. »

Douglas Rushkoff a raconté son étrange aventure dans un article intitulé Survival of the Richest, paru au début du mois de juillet 2018 sur le site Medium.com et en français sur le site La Spirale.org (traduction : Céleste Bruandet). Je vous invite bien sûr vivement à le lire en entier.

Après la vie biologique, le paradis bionique éternel

Mais partons de ce cas d’espèce pour essayer d’aller au-delà de la scène surréaliste vécue par Rushkoff. Il est clair qu’au-delà de leur projet misérable – fuir et se planquer pour échapper à l’Armageddon (dont ils portent d’ailleurs une lourde part de responsabilité) et en laissant crever le reste de l’humanité (merci, les gars !) – nos cinq énergumènes sont dans état de panique totale. Ils ont pleinement conscience du caractère irréversible de l’effondrement qui les menace. Plus rigolo, ils pressentent que leur propre argent n’aura bientôt plus de valeur, scandale absolu mais guère étonnant pour une réalité imaginaire (l’argent) ne valant que par la croyance que nous lui portons !

Les réactions de fuite quasi mystiques de nos riches terrifiés touchent au pathétique et au grotesque. La quête de l’immortalité, rien moins ! À chaque effondrement de civilisation, vous avez les mêmes lubies hallucinées de la part de ceux qui croyaient en maîtriser les manettes. Jadis d’inspiration religieuse – le paradis éternel après la mort – nous voilà passé à la quête de l’immortalité technologique : après la vie biologique, le paradis bionique éternel.

Tout ça est évidemment ridicule. Mis en perspectives, les progrès technologiques dont nous nous ébaubissons sont en réalité dérisoires : songez que l’humain n’a marché sur la lune qu’une seule fois (et encore comme un pachyderme emprunté), que seuls quelques privilégiés de l’espèce voyagent dans l’espace de manière fort éphémère et surtout très inconfortable, que malgré nos formidables machines, nous ne connaissons pratiquement rien des planètes qui nous entourent (et pas beaucoup plus du fond de nos océans), que nos progrès médicaux nous ont fait gagner tout juste quelques petites années (dans quel état !). Que vaudront leurs casemates blindées (gardées par des robots !), leurs organes nanotechnologiques, leurs cerveaux numérisés face aux cataclysmes qu’ils craignent tant ?

La dernière erreur de nos fous furieux tient à leur sotte suffisance : ils confondent allègrement la fin de leur monde avec la fin du monde. Pas sûr que l’effondrement dont ils parlent concernera la planète-terre, encore moins le cosmos dans sa globalité infinie, peut-être même pas la disparition de cette agaçante espèce humaine qui fait rien qu’à faire des conneries. Ce qui est assuré par contre, c’est que des dégâts humains considérables accompagneront l’effondrement de la civilisation occidentale capitaliste (nous n’aurons à nous en prendre qu’à nous-mêmes), que les hordes « barbares » (entendez, les réfugiés fuyant des territoires que nous avons dévastés) parviendront à venir piétiner nos plates-bandes d’insupportables égoïstes, que nous allons avoir quelques soucis à nous faire avec les dérèglements climatiques, la fonte des glaces polaires, la montée des eaux des océans, l’épuisement des ressources fossiles…

Quant à nos cinq imbéciles frappés de démence dans leur chaîne hôtelière d’hyper-luxe, je vous fiche ce billet qu’ils seront morts et décomposés – peut-être même fauchés comme les blés, hahaha ! – bien avant d’avoir expérimenté ne serait-ce que l’ombre du début de leur immortalité.

=> Source de l’info : Survival of the Richest, par Douglas Rushkoff en vo sur le site Medium.com et en vf sur le site La Spirale.org (traduction : Céleste Bruandet).

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