Art & politique : Cyrille Bernon (1976- )

Cette maman est venue depuis la Syrie avec sa fille handicapée. Elle est seule dans le froid, assise sur son fauteuil roulant, perdue au milieu du vacarme du camps B.

Cyrille Bernon est né en 1976, à Montpellier. Il vit et travaille à Montpellier.

Photographe de mariage et famille principalement, Cyrille Bernon est aussi devenu un photographe engagé. En mars 2016, Cyrille passe trois semaines en tant que volontaire avec des réfugiés dans le camp d’Idoméni au nord de la Grèce à la frontière de la Macédoine. Parti pour aider un camp de réfugiés, il photographie la détresse de ces hommes pour que tout le monde sache ce qui se passe à quelques kilomètres de chez nous.

« Ils sont environ 5 000 enfants parmi 13 000 réfugiés à survivre dans la boue et le froid, dans le camp de la honte, le camp d’Idomeni… J’ai passé 3 semaines avec eux – la Macédoine venait juste de fermer sa frontière. Ils arrivaient chaque jour plus nombreux, en famille, épuisés après un long et dangereux voyage. Mais ils étaient heureux parce que persuadés qu’ils allaient pouvoir continuer leur route vers la terre promise, le nord de l’Europe. Mais depuis peu, Idoméni, n’est plus qu’un cul de sac synonyme de désespoir et de misère où végètent des milliers de familles. Je les ai vu jour après jour se transformer, perdre la raison, être avalés par ce camp inhumain. Mais comment pourrait-il en être autrement quand on a tout perdu, parfois même sa famille et que l’on a plus d’espoir, plus de but à atteindre ? Ils manquent de tout, ils vivent au milieu des ordures et des excréments. Ils manquent de toilettes, de points d’eau, ils font des heures de queue pour avoir un bol de soupe ou voir un médecin … Ils deviennent parfois agressifs pour un peu de nourriture, un sac de vêtements ou quelques morceaux de bois. Leurs journées se résument à satisfaire les besoins primaires (boire, manger et se chauffer) et à attendre. Mais attendre quoi ?! … À travers mes photos, j’ai souhaité rendre compte de leur quotidien, de leur histoire, de leurs espoirs, et surtout de leur désespoir. Je n’étais pas dans une zone de guerre, je n’étais pas dans un pays accablé par la famine. J’étais bel et bien en Europe, ce qui rendait tout cela d’autant plus insoutenable. Mon reportage s’est naturellement orienté vers les enfants et la famille. Peut-être parce que j’ai moi même deux petites filles et que je ne pouvais m’empêcher de penser à elles en voyant tous ces enfants. Probablement me rappelaient-ils aussi à moi père de famille, à quel point ces hommes et ces femmes étaient courageux. »

« J’ai toujours vu mon père faire de la photo, il y a toujours eu de beaux livres photo à la maison… J’ai baigné là-dedans. J’ai eu mon premier appareil photo à 8 ans, un Kodak à disque, le négatif faisait moins d’un centimètre carré. Je pouvais entrer l’équivalent de plusieurs “pellicules” sur un seul 6 X 7. C’est vers 19 ans, pendant mes études d’aménagement du territoire, que j’ai commencé à envisager la photographie comme un métier. Je devais faire un stage et j’ai découvert le travail de l’Observatoire photographique du paysage à travers les photos de Raymond Depardon. À ce moment là, je peux dire que la photographie est vraiment entrée dans ma vie. »

« Si on parle du format, c’est paysage, sans aucune hésitation, sans l’ombre d’un doute ! Surtout depuis que je travaille en panoramique (avec mon Hasselblad Xpan à l’époque, par recadrage aujourd’hui). Le panoramique sublime les images et puis il a quelque chose de narratif. On peut raconter plusieurs histoires dans une même image, beaucoup plus que dans les formats traditionnels. En mettant mes photos au service d’une cause, en faisant de la photo engagée, mon travail prend un autre sens. Je pense que ce reportage marquera un tournant dans ma vie personnelle et professionnelle. »

La neige n’est pas loin, le froid est mordant, ces enfants se réchauffent en faisant bruler un duvet faute de bois.
Des volontaires forment un cordon pour aider les femmes et les enfants à traverser.