Après le drame de Conflans : « Il faut s’aimer à tort et à travers »

À la suite du drame de Conflans-Sainte-Honorine trois-quatre messages hallucinés m’ont convaincu de délaisser l’ordinateur. L’un se propose tout bonnement d’interdire les religions, l’autre de jeter hors de France tous les Musulmans, négros et basanés, un troisième s’attaque à ces salopards d’Insoumis complices objectifs de l’intolérable qui cette fois-ci vont peut-être enfin comprendre… J’ai éteint l’ordinateur jusqu’à maintenant. Et ne lis plus ni les réseaux sociaux ni les journaux ni n’écoute les radios et n’ai toujours pas de télévision. Je me sentirais sali.

Et puis tout à l’heure j’ai songé à Julos Beaucarne, chanteur wallon dont l’épouse Louise a été tuée par un détraqué en 1975. Leurs deux enfants avaient alors neuf et deux ans. Alors je t’ai ressorti de ma bibliothèque sa lettre ouverte écrite dans la nuit qui a suivi le drame.


Amis bien aimés

Ma Loulou est partie pour le pays de l’envers du décor, un homme lui a donné 9 coups de poignard dans sa peau douce. C’est la société qui est malade, il nous faut la remettre d’aplomb et d’équerre par l’amour et l’amitié et la persuasion.

C’est l’histoire de mon petit amour à moi arrêté sur le seuil de ses 33 ans. Ne perdons pas courage ni vous ni moi. Je vais continuer ma vie et mes voyages avec ce poids à porter en plus de mes deux chéris qui lui ressemblent.

Sans vous commander, je vous demande d’aimer beaucoup plus que jamais ceux qui vous sont proches. Le monde est une triste boutique, les cœurs purs doivent se mettre ensemble pour l’embellir, il faut reboiser l’âme humaine.

Je resterais sur le pont, je resterai un jardinier, je cultiverai mes plantes de langage. À travers mes dires, vous retrouverez ma bien aimée. Il n’est de vrai que l »amitié et l’amour.

Je suis maintenant très loin au fond du panier des tristesses.

On doit manger, chacun, dit-on, un sac de charbon pour aller en paradis, comme ce serait doux les retrouvailles. En attendant, à vous autres, mes amis de l’ici-bas, face à ce qui m’arrive, je prends la liberté, moi qui ne suis qu’un histrion, qu’un batteur de planches, qu’un comédien qui fait du rêve avec du vent, je prends la liberté de vous écrire pour vous dire ce à quoi je pense aujourd’hui : je pense de toutes mes forces qu’il faut s’aimer à tort et à travers.

Julos Beaucarne, nuit du 2 au 3 février 1975.

On peut lire cette lettre dans le recueil « Mon terroir, c’est les galaxies » aux Éditions Louise-Hélène.

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