
Troisième volet de mes réflexions autour du dernier ouvrage, décidément très riche et éclairant, d’Emmanuel Todd. On y trouve un passionnant parrallèle entre le soulèvement des Gilets jaunes et les évènements de Mai 68.
Les évènements de Mai 68, explique Todd, se sont déroulés en quatre temps qui excédaient largement les limites du célèbre mois :
- temps 1 : “le choc social et émotionnel” (lors de l’explosion étudiante et ouvrière) ;
- temps 2 : “la victoire de l’instant” avec les accords de Grenelle et ses hausses considérables de salaires accordées par un patronat et un pouvoir politique affolés ;
- temps 3 : “la défaite politique” de la gauche lors des législatives de juin 2019 ;
- temps 4 : “la victoire sociétale”, souvent négligée (et pour cause) par les analystes mainstream, et qui s’est déroulée par étapes avec une nette libération des mœurs en matière de vie de couple, des lois d’émancipation féminine comme le vote de l’interruption volontaire de grossesse en 1975, et jusqu’au mariage pour tous accordé en 2013 avec l’acceptation bon gré mal gré de l’homosexualité par les classes bourgeoises.
Pour Todd, il se pourrait que le “cycle Gilets jaunes” dure le temps du cycle Mai 68 : cinquante ans
Le soulèvement des Gilets jaunes suit exactement, du moins à son début, le même schéma qu’il y a un demi-siècle, constate Todd :
- le choc émotionnel après le soulèvement des prolétaires en gilets jaunes le 17 novembre 2018 ;
- la victoire de l’instant dès le 4 décembre 2018 avec les concessions précipitées d’un pouvoir « terrorisé » (pour un montant de 17 milliards d’euros tout de même) ;
- le flop politique avec les difficultés des GJ à s’organiser politiquement, les effets de la dissuasion répressive contre les manifestants du samedi, la contre-offensive du président Macron avec son chloroforme “Grand débat”.
Reste le moment 4 dit “sociétale”. Celui-ci ne vient-il pas d’être lancé par l’entrée dans la lutte des classes de la « majorité atomisée » (techniciens, infirmier.e.s, ouvriers et employés qualifiés…), mais aussi de la petite bourgeoisie CPIS (médecins, avocats, enseignants…) aux conditions de travail de plus en plus déstabilisées et outrées par une réforme des retraites qui les fragilisent un peu plus ? Emmanuel Todd :
« Un quatrième [moment] s’annonce pour les décennies qui viennent : les problèmes de niveau de vie et de représentation populaire, posés par les Gilets jaunes, prendront toute leur ampleur à mesure que des catégories sociales de plus en plus larges seront aspirées par l’urgence économique. Nous ne sommes donc qu’au début d’un nouveau cycle, le “cycle Gilets jaunes”, auquel j’ai affecté dans le titre de ce chapitre, comme pour le précédent cycle [de Mai 68], une durée de cinquante ans. »
Non seulement le dernier ouvrage de Todd est exceptionnellement riche, mais je le trouve aussi plutôt encourageant, pas vous ?
=> Les Luttes de classes en France au XXIème siècle », Emmanuel Todd, Le Seuil, 384 pages, 22 euros.