The Lone Pine, 1908, par Anne Brigman
Ah, les fêtes et la torture des cadeaux ! Ceux qu’on revend sur leboncoin.fr à peine éteints les lampions. Et pire encore, ceux qu’il nous faut dégoter pour les autres. Que je vous donne une idée : offrez ou faites-vous offrir un livre d’Alain Corbin, l’historien du plaisir.
Vous ne connaissez pas Alain Corbin ? Pas étonnant en fait. Il est un de ces historiens d’espèce rare qui préfèrent privilégier les plaisirs de l’aventure humaine plutôt que de ressasser ses tragédies.
<< Les professeurs d’histoire sont par tradition doloristes. Ils sont intarissables pour expliquer les guerres et la misère, et, du coup, le plaisir n’y produisait pas de textes >> (interview Le Télégramme).
Alors notre enseignant s’y est collé avec plusieurs ouvrages aux titres évocateurs : « Les Filles de noces », « Le Miasme et la jonquille » (sur la << révolution olfactive >>), « Histoire du corps », « L’Harmonie des plaisirs »…
Tout derniers ouvrages parus cette année, « La Douceur de l’ombre » (23 euros, éditions Fayard) et « La Pluie, le soleil et le vent » (22 euros, Aubier).
L’arbre, la mort et le retour à l’enfance
« La Douceur de l’ombre », c’est celle des arbres. Pas vraiment ceux de la forêt sombre et austère, mais le bon vieux chêne du coin auquel on s’accroche, le tilleul de la promenade sous lequel batifolent les jeunes de dix-sept ans pas trop sérieux, ou même ces fascinants totems de morts que sont l’if et le cyprès.
Pour Corbin, ces arbres tutélaires, dont il retrace l’aventure depuis l’Antiquité à aujourd’hui, sont des sources d’émotions. L’arbre, dit-il, est << un Janus >>, tantôt encensé par l’imaginaire judéo-chrétien pour tutoyer la voûte céleste divine de ses branches, tantôt redouté par son enracinement maléfique à l’enfer terrestre.
L’arbre, au fil du temps, a toujours attisé les déchirements de l’homme, partagé entre son aspiration forcenée à l’immortalité et le constat accablé de ses limites temporelles.
<< À l’échelle de l’homme, l’arbre est effectivement immortel. Le doyen officiel, un peuplier de l’Utah, aurait 90 0000 ans ; en Californie, un chêne affiche 13 000 ans. Ces arbres prodigieux sont pour nous d’un âge incompréhensible. C’est une leçon d’humilité >> (interview Le Point).
Mais l’arbre, par la douceur de son ombre, sait aussi apaiser les tourments humains.
<< L’arbre offre le prétexte d’un retour à l’enfance, à la cabane dans les arbres. Il symbolise le paradis perdu, notre désir de revenir au primitif. >>
L’érotisme troublant de la pluie
« La Pluie, le soleil et le vent » pourrait tout aussi bien orner vos arbres de Noël. Attention, vous risquez de ne pas le trouver au rayon « histoire » des libraires, mais en…. sciences naturelles, comme ce fut le cas dans la mienne !
L’approche d’Alain Corbin et des neuf chercheurs qui écrivent sous sa direction, a pourtant moins à voir avec la science qu’avec la perception sensible, passionnelle, littéraire que nous avons de ces éléments climatiques capricieux qui collent aux basques de notre parcours quotidien et de notre histoire.
Et que rien, ni invocations mystiques, ni adages ancestraux préventifs (<< Noël au balcon, Pâques aux tisons >>), ni même nos omniprésents bulletins météo ne nous permettent de maîtriser.
Contraints de faire avec, nous essayons de composer vaille que vaille avec eux, souvent en maugréant, parfois avec une attirance trouble, comme celle de Mme de Sévigné qui, tout en confessant détester la pluie, avouait y trouver un certain plaisir érotique.
Voilà en tout cas, cher lecteur, des textes qui nous permettront de patienter bien au chaud durant les frimas de l’hiver. Jusqu’à ce qu’arrivent les beaux jours tant attendus et ces diables de rayons du soleil que ne remplaceront jamais nos misérables lampes à bronzer.