La victoire de Rouhani est une bonne nouvelle pour l’Iran, mais une mauvaise pour Trump et ses alliés sunnites, par Robert Fisk

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Le président iranien Hassan Rouhani

Un billet de Robert Fisk sur l’élection << (comparativement ) >> libre qui vient de se dérouler en Iran.


Les Saoudiens seront consternés par le fait qu’un Iranien (comparativement) raisonnable a remporté une élection (comparativement) libre que presque aucun des cinquante dictateurs réunis à Ryad pour accueillir Trump n’aurait jamais osé tenir.

Donc c’est une bonne victoire pour le régime iranien — et son énorme population de jeunes — et une mauvaise victoire pour le régime de Trump, qui aurait plutôt préféré un ancien tueur judiciaire comme président iranien,plus facilement haïssable par les Américains. Sans doute l’attaque, la semaine dernière, de Hassan Rouhani contre son ténébreux rival et ses partisans a-t-elle payé : << Ceux dont les principales décisions ces trente-huit dernières années n’ont été que des exécutions et des emprisonnements. >> Qui parmi les jeunes de moins de 25 ans en Iran, soit plus de 40 pour cent de la population, aurait voulu voter pour Ebrahim Raisi dont les mains étaient entachés par les certificats d’exécution de 8 000 prisonniers politiques en 1988 ?

Ainsi, l’homme qui a signé un accord nucléaire iranien avec les États-Unis, qui a lutté (souvent en vain, il faut le dire) pour récolter les récompenses économiques de cette « trêve » de la bombe nucléaire, qui croyait à une société civile différente de celle de l’ancien président Mohamed Khatami, a remporté le scrutin avec 57% des voix et 23½ millions de voix sur 41. Les vieillards corrompus et autoritaires du Corps de la Garde révolutionnaire et des bazaaris, les ruraux pauvres — ce fourrage à canon de la guerre Iran-Irak comme ils le sont souvent lors des élections — ont été prévenus qu’ils n’appartenaient plus à l’avenir.

Mais quel contraste cette élection a été face au vaste rassemblement de dictateurs et d’autocrates coupeurs de gorge venus saluer Donald Trump à Riyad — au moment même où les résultats des élections iraniennes étaient annoncés. À l’exception du  Liban, de la Tunisie et du Pakistan, presque tous les dirigeants musulmans réunis en Arabie Saoudite considèrent la démocratie comme une blague, une farce — d’où les victoires à 96% de leurs dirigeants — ou encore simplement une inconvenance. Ils sont juste là pour encourager la soif sunnite de l’Arabie saoudite dans sa guerre contre l’Iran chiite et ses alliés. C’est pourquoi les Saoudiens seront consternés par le fait qu’un Iranien (comparativement) raisonnable a remporté une élection (comparativement) libre que presque aucun des cinquante dictateurs réunis à Ryad pour accueillir Trump n’aurait jamais osé tenir.

C’est le peuple iranien qui choisit son Guide suprême

Certains se souviendront qu’il y eut bien sûr des exécutions lors de la présidence précédente de Rouhani — mais pas sur l’échelle du Golgotha comme le furent celles de 1988 — et que les compétences révolutionnaires de Rouhani sont claires : juste avant l’invasion irakienne de Saddam Hussein en 1980, c’est lui qui parvint à réorganiser l’armée irrégulière révolutionnaire iranienne. cependant, si Raisi symbolise le passé répressif, Rouhani, même imparfaitement, représente l’avenir. Du moins pour l’instant. 
Car tout dépend de la façon dont il répondra à la folie du régime Trump et à sa volonté de soutenir la machine de guerre sunnite avec plus de 100 milliards de dollars d’armes contre l’Iran et ses alliés. Rouhani doit prier pour que la réponse de l’Iran soit politique — il a au moins la satisfaction de savoir que la participation électorale en Iran cette semaine était de 70% contre 58% misérables lors la présidentielle américaine opposant Trump à Clinton l’année dernière. Les Iraniens sont un peuple très politique et prennent leurs sondages présidentiels au sérieux, même si seulement six des 1 500 candidats potentiels étaient autorisés à concourir.
Et ce sont eux qui choisiront leur prochain Guide suprême qu’en Khamenei partira. Cette position décisive — sans aucun précédent dans le monde islamique, er aujourd’hui considérée comme intouchable — pourrait profiter à l’ayatollah Sayed Mahmoud Hashemi Shahroudi, un homme qui, en tant que chef de la magistrature, a considérablement adouci l’échelle des châtiments pénaux en Iran, m^me s’il ne peut être tenu pour un véritable réformateur. Comme cela était d’ailleurs le cas pour le vieux Hashemi Rafsanjani, ex-président et Richelieu d’Iran mort un peu plus tôt cette année. Aucun homme politique iranien ne peut encore aujourd’hui parler de réforme et de société civile sans se référer à la révolution et aux martyrs de la guerre Iran-Irak 1980-1988. 
C’est à la suite de ce conflit façon Première Guerre mondiale de l’Iran que les exécutions de masse commencèrent. Le seul ayatollah important à s’y être opposé fut Ali Montazeri. Sa décision courageuse et morale lui coûta le leadership suprême et il passa le restant de sa vie assigné à résidence. Khamenei prit sa place. Et parmi les hommes brutaux qui montrèrent  ensuite leur « islamisme » via la chambre d’exécution, avec un massacre de prisonniers connu désormais sous l’appellation de « catastrophe nationale », figurait un certain Ebrahim Raisi. Sa seule consolation aujourd’hui est de savoir que beaucoup de dirigeants arabes sunnites réunis à Riyad pour applaudir le président fou des États-Unis ont presque autant de sang sur leurs mains que lui. Sauf qu’eux ont été « élus » à la manière sunnite.
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