Cédric Herrou : « Je vais bafouer certaines règles »

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Tu lis Cédric et tu te dis que police et justice n’ont pas réussi à lui faire peur. Et tu vas cotiser et relayer la future souscription pour acheter un nouveau minibus.


Breil sur Roya, 03h54. Réveillé par un gosse de six ans et sa mère, tous deux arrivant à pied, de nuit, sous la pluie, depuis l’Italie. Une part de peine de les voir. Une part de réconfort de les savoir à l’abri. Et une part d’ironie : ces deux-là ont réussi à ridiculiser l’armée, la PAF [Police de l’air et des frontières], la gendarmerie et l’état d’urgence ! Ils ont passé la frontière à la barbe de ses hommes pleins de testostérone, armés de Famas et lunettes à visée nocturne. Une seule pensée me vient : Pauvres cons.

Je suis réveillé, quarante personnes de quatre à trente ans, dans ce camping improvisé, attendent désespérément de pouvoir faire une demande d’asile. Et pour les mineurs isolés, d’être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. […]

Écrire

La mère et l’enfant couchés dans une tente, sous la pluie, je n’ai plus sommeil, que me reste-t-il ? Écrire.

Écrire à qui ? Au maire ? Au procureur de la république ? Au préfet ? Aux présidents du Conseil départemental, régional ? Aux ministres ? Au pape ? Au peuple ?

À quoi bon… Tous ont connaissance de ce que nous endurons dans la vallée de la Roya et ailleurs en France. Les aidants poursuivis par la justice et les aidés poursuivis par la police, alors que les uns et les autres n’agissent que pour le droit à la dignité humaine.

Alors j’écris pour moi-même et pour ceux qui prendront la peine de me lire. […]

Nous sommes en 2017 et des gens inexistants aux yeux de la justice souffrent de l’indifférence générale.

Le droit à la dignité

Nous avons essayé pourtant. Seul résultat, une dizaine de procès en cours pour « aide à l’entrée et à la circulation de personnes en situation irrégulière. » Quels drôles de termes face à ces gosses qui souffrent ! Comment leur expliquer qu’ils sont considérés comme irréguliers alors que le droit des migrants, fuyant guerres et dictatures, est encadré par ces mêmes personnes qui incriminent des citoyens répondant à une urgence humanitaire ? Que la France, 5e puissance mondiale, bafoue le droit à la dignité humaine ? […]

Je vous avoue que je me sens perdu, j’aimerais pouvoir faire comme cette majorité qui ferme les yeux ayant peur d’y voir trop clair, se voilant la face avec ces arguments populistes sortis tout droit de la bouche de politiques bafouant les fondamentaux des valeurs qui ont fait que la France est la France.

J’aimerais pouvoir fermer ma porte à double tour, mettre une clôture autour de ma propriété privé, continuer à vivre dans l’indifférence. Mais on m’avait averti : « il est plus facile d’ouvrir sa porte que de la fermer. » […]

J’ai du mal à comprendre. Comment en sommes-nous arrivés là ? Les habitants de la Roya crient à l’aide et aucune réponse, seuls quelques procès et barrages de  flics.

Comme si le problème était créé par les citoyens de la Roya. Comme si le problème ne venait pas d’une réalité mais simplement du fait que nous osons dire, dénoncer.

Le droit de résistance à l’oppression

[…] Comment faire pour que les migrants puissent déposer leur demande d’asile sans que je finisse une fois sur dix en garde a vue avec un procès au cul ? Comment faire pour que la prise en charge des mineurs isolés se fasse normalement ? Comment faire pour que le droit ne s’arrête pas aux frontières de la Roya ? Pour que la Roya redevienne française ? Pour que la Roya ne soit pas juste un gros barrage de flics ? Pour que le droit français puisse être rétabli en Roya ?

Dois-je racheter un minibus, vu que le dernier a été saisi, pour transporter ces gens hors de cet État de non-droit qu’est la vallée de la Roya ? Certes ça va être compliqué, mais je ne pense pas avoir le choix si aucune réponse n’est apportée par « nos » institutions.

Je me saisirai donc du droit de bafouer certaines règles, je reprendrai mon véhicule, je contournerai ces dispositifs policiers pour qu’enfin ces gens puissent faire leur demande d’asile et je sortirai ces gamins de ce département afin qu’ils puissent construire une vie plus digne dans le pays des droits de l’homme.

Le « droit de résistance à l’oppression » est un des droits naturels et imprescriptibles cités à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et je m’en saisirai et je vous invite à faire de même.

=> Source : Cédric Herrou (intertitres du Partageux)

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.