
Marcelle Delpastre (1925-1998) a écrit en occitan les Saumes pagans, Psaumes païens. Voici l’un d’eux, dédié aujourd’hui à tous les valeureux de notre temps, à l’anonyme de la Roya, de Calais, de Paris ou d’ailleurs qui tend la main ; qui nourrit, soigne, héberge, en ce temps de misère, le réfugié en quête d’hospitalité.
L’ami
Dans mes chagrins, je cherchais quelqu’un qui m’écoute.
Raconter ses malheurs, c’est les souffrir dix fois plus. Tu ne peux rien pour moi, compagnon de misère. Mais si je ferme mon cœur, certainement j’étoufferai.
L’amour m’a pris depuis les racines du sang, comme un poison dans la sève, jusqu’à la peau et jusqu’à la pensée,
il me tient par le milieu du corps, il me tient par le milieu de l’âme, il m’a fait toucher de l’épaule, il me cloue comme un pou sur la terre.
Écoute-moi, ami, même si tu ne parles guère. Tu me tiendras contre toi, comme un frère tient son frère. Tu me berceras comme un enfant.
Je sais que mes douleurs ne te pèseront guère. Je sais que tu oublieras tout ce que je te dirai. Même si tu ne m’écoutais pas, cela ne m’étonnerait guère.
Mais tu es seulement assis devant moi ; si tu me dis quelque parole ; et qu’il passe entre nous un peu de chaleur.
Je ne viderai pas mon cœur, certes non, je ne pourrai pas tout dire, et quand même je te dirais tout ! Tu ne prendras pas mon fardeau sur l’échine.
Mais vois : je n’en peux plus. Ouvre ton cœur et ta porte. Que je puisse me reposer sur le cœur d’un ami.
Sabe pus onte anar. Es nuech, lo freg me sagna. Dau temps que fai per ieu getariatz pas un chen defòra.
Je ne sais plus où aller. Il est nuit, le froid me saigne. Du temps qu’il fait pour moi on ne jetterait pas un chien dehors.
Laissa-m’entrar e laissa-me parlar. E laissa-me durmir.
Laisse-moi entrer et laisse-moi parler. Et laisse-moi dormir.