Crise de civilisation : la question de la violence

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Policiers avec des masques de tête de mort, Nantes 2 novembre 2014

Un texte publié en novembre 2014 et que je trouve opportun de ressortir pour l’année 2017.


Les longues périodes de transitions historiques entre deux mondes, deux civilisations, ne font jamais l’économie d’explosions de violence. Mais ces violences d’origine humaine peuvent être de natures fort différentes, souvent antagonistes.

La violence du système comme réflexe de survie

La première de ces violences est d’abord et toujours celle exercée par tout système finissant pour tenter de retarder son échéance fatale. Qui ne le voit à travers l’équipement et les excès de comportement de ces forces dites “de l’ordre”, ces robocops glaçants, de plus en plus militarisés ?

Mais de Nantes ou Sivens récemment, à Ferguson au Texas il y a quelques temps, en passant par à peu près tous les coins échauffés de la planète aujourd’hui, ces escadrons surarmés révèlent in fine tous les signes morbides de dégénérescence frappant l’ordre qu’elles sont censées défendre (cf. photo ci-dessus).

Bien naïf celui qui penserait que le vieux système néolibéral va céder sans violence une once de son autorité finissante, fusse sous la contrainte d’un vote démocratique. S’ils parviennent au pouvoir, Podemos, Syriza ou les indépendantistes catalans feront inévitablement le constat de ce réflexe de survie d’un système aux abois, et qui peut mener jusqu’à la guerre.

La violence du désespoir et de la frustration

Les traversées de crise sont aussi propices à des explosions sporadiques de violences aveugles, destructrices, suicidaires. Certaines mues par le désespoir : les révoltes de banlieues sinistrées où l’on brûle ses propres voitures, ses propres écoles, où l’on souille ses propres cages d’escalier.

D’autres motivées par un trop-plein de frustration et de dépit : les dernières manifestations de paysans organisées par la FNSEA, avec ce consternant massacre de ragondins et ces projections de merde sur des bâtiments publics, à Nantes et à Toulouse.

Répétées et incontrôlées, ces bouffées nihilistes et suicidaires ne peuvent mener qu’au chaos, donner des prétextes de crispation aux autorités du système contesté, ou pire encore, favoriser l’émergence de forces régressives prônant de vieilles valeurs rances et la haine de l’autre.

La violence insurrectionnelle sur les ruines de la démocratie

Mais la violence peut aussi apparaître comme une arme citoyenne de légitime défense. En décembre 2012, dans une tribune publiée par Le Monde, trois “zadistes” de ND-des-Landes posaient crûment le problème :

« Ceux-ci [les partisans de la non-violence, ndlr] semblent toujours estimer que, quand bien même on viendrait piétiner nos maisons et nos cultures, il nous faudrait rester calmes et polis. Si nous ne nous étions pas défendus, il n’y aurait probablement plus grand monde pour parler de la ZAD aujourd’hui, moins encore pour y vivre. »

Le fait est que dans un monde en crise, où la démocratie est aussi ouvertement étouffée et pervertie, la violence peut être aussi l’arme de minorités quand les majorités s’égarent ou se terrent. Mandela lui-même dut se résoudre à recourir à la violence insurrectionnelle pour faire triompher une cause dont plus personne n’ose contester la légitimité aujourd’hui.

Au-delà de toutes considérations morales, ce billet tente d’établir le constat d’une logique implacable, d’un terrible engrenage social et politique, fut-il choquant. Faire l’autruche, nier que l’on est en train de changer de monde, et que ce changement de civilisation se fait, comme à chaque fois dans l’histoire, dans la brutalité, c’est se condamner à d’humiliantes déconvenues, à la honte.

Car au point critique où notre société en est de son histoire, la qualité du monde d’après dépendra très probablement de la nature de la violence qui l’emportera sur les autres.

« Je ne dirai pas qu’il faut supprimer toute violence »

Laissons le mot de la fin sur ce sujet très sensible à Albert Camus :

« Ce n’est pas me réfuter en effet que de réfuter la non-violence. […] Je ne pense pas qu’il faille répondre aux coups par la bénédiction. Je crois que la violence est inévitable, les années d’occupation me l’ont appris. Pour tout dire, il y a eu, en ce temps-là de terribles violences qui ne m’ont posé aucun problème.

Je ne dirai donc point qu’il faut supprimer toute violence, ce qui serait souhaitable, mais utopique, en effet. Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence, que cette légitimation lui vienne d’une raison d’État absolue ou d’une philosophie totalitaire.

La violence est à la fois inévitable et injustifiable. Je crois qu’il faut lui garder son caractère exceptionnel et la resserrer dans les limites qu’on peut. »

Pierrick Tillet, 10 novembre 2014

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