MONNAIE DE SINGE

((/images/crise.jpg|crise|L))Les jours se suivent et se ressemblent sur la vaste scène financière. Une déroute interminable, spectaculaire. Tous ces figurants frénétiques, comme filmés en plongée du haut d’un hélicoptère virevoltant. Regardez-les, petites fourmis affolées prises d’un incontinente danse de Saint-Guy, erratiques, s’agitant en tout sens, courant de ci de là pour essayer d’échapper aux failles béantes, à ces gouffres monumentaux qui s’ouvrent et se multiplient sous leurs pieds. Du grand spectacle assurément.

Retour à ras de terre, travelling hallucinant. C’est dingue ce qu’ils ont été contraints de faire, nos insectes ! Nationalisation accélérée des établissements bancaires. Ho ho ho, non mais vous vous rendez compte ! Ni Marie-Georges B., ni Olivier B. n’auraient osé rêver pareil dénouement. Imaginez qu’on nous ait raconté le film il y a quelques mois. Ne l’auriez vous pas trouvé cocasse ? Surréaliste, assurément. Mais voilà, le péplum existe, se déroule sous nos yeux écarquillés, et est d’un hyperréalisme confondant. Il y a un détail piquant du scénario qui retient l’attention et fait pouffer aux larmes : tous ces milliards de milliards qu’ils promettent d’injecter dans leurs machins, ILS N’EXISTENT PAS ! Ce n’est pas vrai qu’ils ont des fonds de réserve, pas d’aussi astronomiques. C’est du vent, des charres, de la monnaie de singe, comme autrefois ces billets en papier de Monopoly que nous brandissions en nous donnant l’espace d’un temps l’illusion de pouvoir posséder le monde entier (ou au moins la rue de la Paix). C’est con ce qui leur arrive. Ils n’y croient même pas à la réalité de leurs milliards de milliards. Sont juste acculés dans leurs derniers retranchements et gagent vaguement qu’ils les récupèreront plus tard, à la prochaine aube de leur humanité capitaliste, quand la dive « reprise » illuminera à nouveau leurs chimères. C’est du moins ce qu’ils vont essayer de faire gober en parlant d’ « investissements », de « pari sur l’avenir » ou de je ne sais quelle autre de leur habituelle bouillie langagière. Des craques, je vous dis ! La reprise, ils vont pouvoir se la mettre quelque part ! Et ne me dites pas que c’est le menu peuple qui paiera. PERSONNE ne pourra jamais rembourser des sommes aussi phénoménales et qui ne servent en désespoir de cause qu’à repousser (à peine) l’échéance du désastre fracassant qui les attend. Il y a quelque chose de nouveau dans l’invention puérile de ces miraculeux fonds de secours. Quelque chose de presque rassurant, de presque incroyablement réjouissant : ces crétins sont en train de nous démontrer que l’argent n’a strictement aucune importance, aucune réalité. Que contrairement au charbon, à l’or ou au pétrole, il n’est pas rare du tout. Qu’il suffit de claquer dans ses doigts. L’argent est pure invention des hommes et de leur imagination enflammée. Comme les billets de papier du Monopoly. Comme les sommes colossales, totalement fantasmées, totalement virtuelles, qu’ils sont en train d’injecter dans leurs tuyaux percés. Longtemps ils ont tenté de nous faire croire que l’argent était rare, mais c’était juste pour mener les populations par le bout du nez avec leur foutue idée de « dette publique ». Et voilà que ces imbéciles sont contraints de dévoiler leur pot-aux-roses. Après les nationalisations forcées à faire retourner dans sa tombe le bon vieux Karl (Marx), les voilà qui, tout au fait de leur panique, dévaluent totalement au yeux du monde et pour longtemps la notion de fric. Je me demande ce que doivent penser aujourd’hui tous ces pays du monde qu’ils appelaient tiers, et que le Fonds Monétaire International a tenu si longtemps sous ses moralisantes et chiches perfusions. Pour l’instant, pour l’instant seulement, ils en rigolent :  »« C’est une crise de riches ! Nous compatissons un peu. On en souffrira, mais pas comme les riches. J’allais dire, c’est une crise de la tête ! Ha ha ha ! » » (Abdoulaye Wade, président du Sénégal). Décidément, ce film en cinémascope ne tient pas seulement du divertissement grand-public comique, il tourne au film à thèse hautement pédagogique. ///html

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.