((/images/vazy.JPG|vazi|L))Ami voyageur furtif qui passes sur ce blog avec une discrétion touchant à l’absence. Toi qui ne laisses jamais ni commentaires ni autres traces de ton passage sur mon petit territoire virtuel, par pudeur ou timidité, que sais-je ? Ou pire, parce que tu penses que ça ne sert à rien. Ami voyageur, pardonne-moi mais une fois n’est pas coutume, je vais te faire pénétrer dans mon paysage intime.
Le principal reproche que l’on fait à ce moyen de communication qu’est l’Internet est précisément d’être virtuel. Les rencontres qu’on y noue seraient, nous assomme-t-on, du domaine factice, illusoire. Et de railler ces blogs irréels, de brocarder les »Meetic » et autres improbables sites de rencontres, ces repaires d’âmes solitaires forcément « en manque » ou d’egos disproportionnés brâmant dans l’inutile. Eh bien, figure-toi que le week-end dernier, j’ai fini par les rencontrer pour de vrai, ces êtres gazeux. Du moins ces quelques-uns d’entre eux qui, contrairement à toi, osent ramener sans souci leur fraise cybernétique. Et que ces fantômes ont de sacrées jolies fesses bien en chair et des ventres à mourir vrai de vrai, surtout quand ils sont agités par la transe d’un bras et d’un pilon s’évertuant à faire monter un aïoli pour rassasier vingt-cinq trognes hilares agglutinées dans une petite centaine de mètres carrés. On a eu un pot dingue pendant ce week-end : il a fait un temps de goret. Pas une seule pause dans la brouillasse tenace qui nous maintenait prisonniers entre les murs de la maison. D’aucuns participants déplorèrent bien sûr l’absence du soleil. Mais moi, je priais intérieurement pour que la pluie perverse poursuive sans désemparer son travail de garde-chiourme. Phébus nous eut égayés sur quelques chemins de traverse de la campagne environnante. Mais contraints de nous faire face dans cet espace clos pendant ces deux jours, il nous fallait bien nous pénétrer les uns des autres. Et puis nos souffles suffisaient à nous réchauffer. Nous étions condamnés à être nos propres soleils. La pluie a un autre avantage définitif : elle exalte les odeurs, les saveurs. Ah le parfum de l’herbe mouillée après l’averse ! Dans l’atmosphère humide où nous étions confinés, l’air transportait les odeurs de mes amis entremêlées à celles des épices, de la morue ou du veau farci. Peste soit des enfers sans saveur ni odeur où le désodorisant est roi ! Mes amis sentent forcément bon, comprends-tu ? Voilà pourquoi la pièce que je préfère dans une maison, la plus odoriférante et la plus sensuelle, c’est la cuisine. Voilà pourquoi j’y ai passé tant de temps lors de ce week-end. Qui n’a jamais folâtré dans une cuisine en pleurant de plaisir avec le secours piquant d’un hachis d’oignons fraîchement effeuillés doit se reprendre sans tarder. Alors, muet passant, le juges-tu toujours aussi désincarné, le petit monde virtuel ? Ce qui m’a également frappé lors de cette rencontre, c’est la quasi absence de conversations « sérieuses », pratiquement aucune de ces longues digressions-prétextes sur une quelconque situation politique, sur les difficultés sociales du moment, sur les injustices hurlantes de l’inhumaine humanité. Au contraire, des heures à entonner en chœur des chansons que l’on qualifierait autrement de stupides, à crever de rire aux blagues les plus joyeusement ras-des-pâquerettes qui fusaient. C’est que, sais-tu, les mots ne servent pas seulement à expliquer, s’expliquer, le langage ne sert pas uniquement à disserter. »« Le langage est une peau. Je frotte mon langage contre l’autre. C’est comme si j’avais des doigts au bout de mes mots, des mots au bout de mes doigts. Mon langage tremble de désir » » (Roland Barthes, »Fragments d’un discours amoureux »). Eh bien, pendant ces quelques heures, tu me croiras ou non, nous ne nous en privâmes point ! Et ne me ressors pas la scie insupportable du « manque » à combler ! Ça fait chier ! Ceux qui prétendent ne pas avoir de manque souffrent juste d’un défaut d’appétit, c’est tout. Sais-tu que ce week-end-là, la mayonnaise de l’amitié, et même carrément de l’amour, a pris ? Comme l’aïoli. »« C’est rare les rencontres comme ça où personne ne nous déçoit » », a dit l’un d’entre nous. Pas la peine, mon vieux, d’évoquer le hasard, le « coup de chance ». La chance, c’est comme tout, faut aller se la chercher. Comme en foot : il n’y a que les bons gardiens de but qui ont de la chance. Alors, je t’en prie, voyageur furtif et timide, cesse de passer comme ça en coup de vent, prends ta chance, laisse une petite trace de ton existence de temps en temps. Je ne sais pas, moi, ce que tu veux, même des petits cris d’animaux, quelques borborygmes amicaux. Je t’assure, il n’y a rien de plus RÉVOLUTIONNAIRE en ce monde ! Après, tu verras, quand tu seras entré dans ce cercle de plus en plus élargi, quand tu seras de retour chez toi après un tel insensé week-end, que tu soigneras sous la couette ta fatigue, ta gueule de bois et ton putain de rhume (salope de pluie !), tu te surprendras à lâcher toi aussi incontinent ce que tu croyais auparavant impossible, limite incongru : »« Je vous aime grave, les zamis. » » —- ///html Notes
* Merci à emcee (photo) et à westmalle (déclaration d’amour finale sous la couette) pour leur inestimable contribution à ce billet. ///