((/images/Autoflagellation.jpg|autoflagellation|L))S’il y a un fait de société caractéristique qui mérite d’être souligné ces derniers temps, c’est bien la publication dans Paris-Match de cette interview des auteurs de l’embuscade afghane. Ces images de talibans paradant dans des uniformes arrachées aux dépouilles de leurs victimes françaises, exhibant leurs trophées morbides, mettant en scène une impayable générosité de vainqueur (la montre du soldat mort rendue à sa famille) sont proprement hallucinantes. Mais infiniment plus troublant encore le fait que des journalistes du pays humilié se soient cru devoir effectuer une telle enquête, plus sidérant le fait qu’un hebdo grand-public à grand tirage du même pays défait ait jugé bon d’en faire sa une et sa pub.
Écartons de suite le prétexte du fric ou du coup médiatique. Ceux-là, c’est vrai, sont le moteur de ce genre de presse. Mais on a vu que dès lors que leurs scoops allaient à l’encontre de leurs intérêts de classe, ces médias savaient s’auto-censurer sans problème, quitte à sacrifier quelques bénéfices sonnants et trébuchants (cf. le nombre d’articles « chocs » concernant l’ex-fameuse Cécilia supprimés dans Paris-Match ou le Journal du Dimanche sur simples interventions conjugales présidentielles). Tordons aussi le cou à la revendication, main sur le cœur, de je ne sais quel impératif devoir d’information ou de je ne sais quelle fumeuse revendication de liberté de presse. Ces gens-là (Paris-Match and co) ont largement démontré qu’ils n’en avaient strictement rien à foutre. Que leur seul souci était de remplir leur tiroir-caisse, MAIS AUSSI — et cet élément est essentiel — de donner une image suffisamment doucereuse et acceptable, si besoin généreusement maquillée, de la société dont ils étaient parmi les heureux et exclusifs bénéficiaires. Outre la rentabilité financière, le but de ces entreprises de communication aux mains du « grand capital » (en l’occurrence le falot héritier Lagardère, tout un poème !) est de faire passer auprès du grand-public la pilule amère du monde dans lequel celui-ci vit. On endort le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur, on le caresse dans le sens du poil, on le cajole, on flatte ses mauvais petits instincts, on le noie sous les confettis des paillettes et du strass… Jusqu’au moment où… Arrive toujours ce moment tragique où ces nantis eux-mêmes se rendent compte, même inconsciemment, que leur univers s’écroulent. Et que malgré les super-pouvoirs dont ils se croyaient dotés, ils n’y peuvent plus rien. Alors quelque chose se casse dans le mécanisme compliqué qui les fait agir. La pulsion de domination suffisante qui les entrainait jusqu’alors fait place à une pulsion sidérante d’auto-punition, d’auto-flagellation. Le langage-alibi dont ils se servaient pour embobiner les masses et justifier leur méfaits, leur sert désormais à étaler leur goût immodéré du sordide, à se plonger dans l’auto-contemplation suicidaire de leur déchéance. Qui n’a pas remarqué que les magazines people, délices du public et des comptables, donnent de plus en plus dans le trash, avec l’invraisemblable complicité de cette faune de célébrités qui laissent complaisamment étaler ses frasques, ses petits et gros travers, ses bourrelets… Ils se pissent ou se laissent pisser dessus, comme de vulgaires petites frappes des ghettos de banlieues compissant et conchiant par désespoir leurs tristes cages d’escaliers. La transition entre l’état euphorique de puissance et cet abandon à la volupté de la décomposition ne se fait pas du jour au lendemain. Elle passe par plusieurs paliers qui s’enchevêtrent, se contredisent, se bousculent. Ainsi de cette crispation forcenée vers quelques valeurs caricaturales (travail, famille, patrie…) dont la dernière campagne présidentielle nous a donné une pesante illustration. La durée de cette transition diffère selon les époques, les circonstances. Mais la rupture finit toujours par survenir. Alors, on s’y abandonne sans retenue. On va même jusqu’à parer cette déliquescence sous le vernis d’une esthétique à prétention artistique. Toutes les civilisations au bord du précipice ont entonné le chant du cygne d’un art décadent. Après, juste après, vient la folie… Rappelez-vous Néron jouant de la lyre tandis que Rome brûlait, le délire des »conquistadores » espagnols à la poursuite d’un Eldorado impossible, les bacchanales nazies pendant que se consumaient dans les fours les corps des races « impures »… Là encore, on me permettra de me répéter, la seule solution qui reste aux quelques esprits encore un peu éclairés n’est pas de faire face frontalement à ce cyclone meurtrier, ni de tenter d’en détourner la direction, de le dompter. C’est trop tard. Non, la seule solution qui reste consiste, comme tout récemment à Cuba et en Louisiane lors de l’arrivée de Gustav, à évacuer dare-dare le terrain et à se réfugier à l’écart en attendant que les vents dévastateurs de la bêtise et de la démence soient un peu retombés.