JULIA

((/images/Julia.jpg|Julia|L)) La première chose qui vous saute aux yeux, c’est les oreilles. Et les mains. Tout est déjà là, si clairement dessiné que vous en restez étourdi, estomaqué. Les lobes, les replis, les délicats ourlets, les marques savantes des jointures de doigts… Et ces lignes, déjà, oh ces lignes au creux de la paume qui feront plus tard les délices des voyantes vénales et des amoureux transis ! La petite Julia est née.

Trois kilos deux cent soixante-dix, cinquante centimètres. Rien qui manque (la GROSSE angoisse !). Et cette assemblée ébahie qui s’agite dans la chambre de la maternité où votre fille de vingt-six ans vous attend, les traits tirés par la violence de l’accouchement, avide de votre approbation, de votre onction. Une des premières réalisations sérieuses qu’elle fait sans vous. Son cri d’émancipation. Drôle, cette atmosphère ouatée de la maternité. Cette façon qu’a le personnel — sages-femmes, infirmières, femmes de chambres… — de vous accueillir avec une si infinie douceur, un calme si apaisant, une patience si débordante, alors que toutes justement sont débordées et épuisées de travail. (Ce soir-là, trois accouchements à terme plus un en préparation pour une seule et même sage-femme. Et des chambres bourrées à la gueule.) Il y a quelque chose de miraculeux dans une naissance : c’est une des rares fois où tous s’extasient de concert sur la beauté d’un petit être aux yeux bouffis, le cheveu filasse et clairsemé, la peau zébrée de petits vaisseaux sanguins éclatés, nez de boxeur aplati par l’étroitesse du passage qu’il vient de franchir pour atteindre la lumière. Bien loin des chérubins désincarnés des magazines glacés. ///html

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/// C’est en ressortant dans le monde du dehors qu’une angoisse terrible et fulgurante vous étreint la gorge. Oh mon p’tit loup, ce monde de cons qu’on te laisse, ce paysage aux perspectives si consternantes, ce tas de ruines si affligeantes… Vous avez beau lui dire de ne pas s’en faire, que vous lui ferez découvrir  » »le fleuve Amazone et la vallée des Orchidées » » que vous l’emmènerez voir,  » »les enfants qui se savonn’nt le ventre avec des fleurs coupées » » ou les  » »Van Gogh à Amsterdam qui ressemblent à des incendies » », rien n’y fait. Vous êtes inconsolable. Malgré tout, sans raison, ce moment de désarroi s’évanouit. Avec peut-être un tout petit peu d’anticipation, quelques temps avant que la biquette ne vous terrasse d’un tonitruant « grand-père » qui vous marquera au fer rouge du sceau du temps qui passe, vous vous surprenez à siffloter cet air tout à fait de circonstances de Pierre Perret : ///html

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.