LENTE MATURATION

((/images/Maturation.jpg|manif|L))De multiples foyers de protestations éclatent aux quatre coins du pays. Plus un jour sans sa manif, sa grève. Toutes ont la même source (la totale destruction de l’outil social, hérité de 1936, 1945 et 1968, qui faisait l’originalité de notre organisation économique). Mais chacun a ses revendications particulières, ses exigences propres, qui parfois contredisent celles de l’autre, s’y opposent. Qui contre des charges fiscales « trop lourdes », qui contre la réforme des ports, contre le fuel trop cher, contre les quotas de pêche, contre la suppression des trente-cinq-heures et du code du travail… Éparpillement des colères et des désarrois.

La seule chose un peu sûre, c’est que l’État n’a évidemment plus les moyens (sans parler de la volonté) de satisfaire la moindre de ces revendications. Miné par la gabegie et le pillage éhonté des caisses publiques à coup de « paquets fiscaux » honteux, l’État a durablement déposé son bilan. Et opté bon gré mal gré pour la liquidation faute d’être capable de redressement. L’affaire, gravissime, dépasse de loin le simple problème d’une « redistribution des richesses », je veux dire « du pognon » (reprendre le fric aux riches pour le redonner aux pauvres). Il est celui d’un choix de vie. Du choix désormais inévitable d’une AUTRE VIE, d’une autre organisation économique : passer de la goinfrerie écœurante qui nous a fait massacrer la plupart des richesses de la planète et un nombre incalculable de ses espèces, à un nouveau style de vie basé sur la dégustation respectueuse. Vous pouvez rire, ce n’est pas une utopie, mais une nécessité vitale : c’est ça ou disparaître. Oui, il est normal que le pétrole soit cher, puisqu’il est devenu rare à force d’être outrageusement gaspillé. Oui, il est juste que soient établis des quotas de pêche puisque nos filets pélagiques ont dévasté les fonds marins. Pris dans l’engrenage d’un système mortifère (la croissance à tout prix), nous continuons à nous heurter comme des insectes affolés aux murs que nous avons dressés. Nous exigeons notre part du gâteau, réclamons du travail, des « emplois »… Alors que la plupart des postes aujourd’hui disponibles pourraient être supprimés sans dommage. Oui, oui, vous avez bien lu : « pourraient être supprimés sans dommage ». Oh pas dans les services publics, bien sûr, pas dans l’éducation, ni dans les hôpitaux ou dans la production des biens et services vitaux comme la nourriture, la culture… Mais franchement, qui va regretter les 54.000 postes supprimés dans la Défense nationale ? À quoi servent toutes les chaînes de montage des ridicules 4×4, les usines d’armements ? A-t-on véritablement besoin de cette profusion imbécile de téléphones portables, d’Ipod, Iphone et de toutes cette quincaillerie électronique dont personne n’est foutu d’exploiter plus de dix pour cent des possibilités. L’inutilité de notre agitation gaspilleuse se mesure à l’énormité de nos décharges obèses dégueulant leurs amas de déchets. Nous avons voulu soumettre la nature. Et celle-ci nous fait payer notre arrogance à prix fort. La bataille des pêcheurs, des routiers, des travailleurs portuaires est une bataille perdue. Celle des agents hospitaliers, des enseignants, des syndicats pour le droit du travail ne peut être gagnée tant que ce système à bout de souffle et pris de folie n’aura pas mordu la poussière (de ce côté-là, ça semble s’accélérer). Nous vivons une période de bouleversements comme il y en eut peu dans notre histoire. Sans doute est-il trop tôt pour que nous en saisissions la complexité, pour que nous en maîtrisions les soubresauts, pour que nous en anticipions les solutions et les conclusions. Une révolution d’ordre planétaire. Déjà en 2007, selon un rapport récent du HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations-Unies), des millions de personnes, chiffres  » »sans précédents » » ont été contraintes de migrer, poussée par les conflits, la dégradation de l’environnement et des climats, par la faim et la misère. Qui imaginerait encore que nous sommes préservés de ce chaos ? Chacune des luttes naissantes en cours aujourd’hui dans notre pays procède d’une nécessaire maturation, d’un deuil incontournable pour un mode d’existence absurde qui va nécessairement s’achever. Peu à peu, ces foyers disséminés de fureur, de détresse, de souffrances se multiplieront, se rejoindront, prendront inévitablement conscience de l’inéluctable et convergeront. Ce par quoi ils devront passer avant cela, et sur quoi ils déboucheront ? Franchement, je ne sais pas.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.