((/images/Pions de lune.jpg|pions de lune|L))21 juillet 1969 au plus profond de la nuit, avec mon frère cadet, dans la chambre de bonne face au CHU St Antoine où, un an auparavant, nous avons vécu les joyeuses agapes d’un mois de mai explosif. Face à nous, tout en haut d’une armoire claudiquante, notre tout petit poste de télévision allumée. Sur notre insistance surexcitée, notre père et notre mère nous ont rejoints, les yeux gonflés de sommeil. Sur l’écran, l’Américain Neil Armstrong, descend l’échelle de son LEM, sous l’œil vigilant de ses deux compagnons d’équipée. Voilà, ça y est, IL MARCHE SUR LA LUNE ! Ô triomphe du génie humain ! … Six ans plus tard, mon ami Alain Lacombe (1947-1992) fait paraître aux éditions Olivier Orban un petit opus, »Les Pions de lune », où il romance les affres de la terrible dépression qui frappa Armstrong et ses deux compères, lorsqu’ils furent, c’est le cas de le dire, « redescendus les pieds sur terre ».
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/// Bien du temps a passé. Je ne sais pourquoi, ces deux évènements, le triomphe et la dépression du trio lunaire, me reviennent à l’esprit lorsque je contemple l’extravagant tas de ruines qui reste de l’ambitieuse aventure humaine entamée à la fin de la Seconde guerre mondiale. Une fois de plus, nous mordons la poussière. Que nous est-il arrivé ? Comment avons-nous pu être aussi peu à la hauteur de nos ambitions claironnées ? Autour de nous, tout n’est que cendres et amertumes. Les puissants eux-mêmes affichent une petite mine malgré leur insolente domination sur les populations d’en bas. Même eux ne croient manifestement plus à la scie des slogans stéréotypés qu’il débitent en automates appliqués, pour donner le change. Les manettes de contrôle leur ont échappé, et ils ne parviennent pas à l’admettre. Cette Raison que nous brandissons en étendard comme signe intangible de notre supériorité d’espèce, je crains que notre folie des grandeurs ne l’ait vilainement piétinée. Oh certes, nous sommes ingénieux, d’une capacité d’invention hors du commun, d’une redoutable efficacité technologique. N’avons-nous pas réalisé le rêve séculaire de nos aïeux en envoyant trois pélerins en combinaisons pneumatiques faire quelques sauts de cabri sur l’astre lunaire qui nous faisait la nique depuis la nuit des temps ? Que n’avons-nous envoyé d’aéronefs vers les mystérieux astres de l’espace pour y annoncer notre irrésistible existence$$Voir [La Nef des fous|http://www.yetiblog.org/index.php?2007/03/29/141-la-nef-des-fous], billet du 29 mars 2007.$$ ? Plus près de nous, les développements techniques et technologiques de ces dernières décennies ont été si rapides et fulgurants que nous avons nous-mêmes un mal de chien à les suivre. Mais pourquoi ? Pour qui ? Est-ce cette fameuse Raison trop vite qualifiée d’universelle qui nous a poussés à mettre en péril notre planète ? Et nous avec par la même occasion ? Quelle folie hallucinée, quelle morgue inconsciente ont pu nous conduire au bord de ce précipice ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit, n’est-ce pas ? N’en déplaise à l’ami Descartes, ce n’est peut-être pas vraiment parce que nous pensons, que nous sommes. Pieds et mains liés à des pulsions terribles et meurtrières, nous nous cognons aux murs que nous avons dressés, comme des insectes pris au piège d’une vitre ! Plus notre connaissance s’étend, et plus nous sommes terrifiés par l’immensité de ce qui nous échappe, de ce que nous ne maîtrisons pas. Que maîtrisons-nous vraiment, d’ailleurs ? En vérité, notre incommensurable naïveté fait un peu pitié. ///html
/// Il est tard. Je viens d’aller balader les deux chiennes autour du vieux port (oui, oui, parfaitement, avec des sacs plastiques pour ramasser les saletés, qu’est-ce que vous croyez ?). Plus un chat sur les quais. Quelques lambeaux de nuages traînent en queue de la méchante dépression qui vient de nous faire un week-end pascal merdique. Et au-dessus de ces lambeaux fugitifs, LA LUNE ! Eh oui, la lune narquoise, toujours là, en clin d’œil de lune descendante, qui éclaire le gras huilé des pavés ! Et au-dessus de ce quartier de lune, l’immensité sombre, infinie, que nous ne possèderons JAMAIS, nananère ! Je pense à mon pote Lacombe qui écrivit ce roman où les trois conquérants triomphants de l’espace se voyaient réduits à n’être plus que de simples petits pions de cette putain de lune qu’ils avaient osé défier. Je ne l’ai pas connu très longtemps, Lacombe$$Alain Lacombe (1947-1992), animateur/producteur radio sur France Musique, auteur de plusieurs ouvrages sur le cinéma et la musique de film, écrivain à son compte et pour le compte négrier de quelques étoiles de cinéma.$$. Lui qui rêvait d’éternité et de grandeur tout en en pressentant l’illusoire vanité, a été terrassé par une méchante crise cardiaque à quarante cinq ans. Et puis avec le temps, d’autres, des tas d’autres pions à être croqués par la lune et ses ténèbres. Je me rends compte que si tout cela est triste, cela en fait n’est pas grave. C’est juste comme ça. Je pense souvent que la solution est dans le petit pas que nous savons faire de côté. Pas pour essayer d’échapper à la meute humaine prise de furie. Impossible. Ni pour oublier je ne sais quels tourments existentiels à faire marrer mes deux chiennes et les martiens qui nous contemplent. Non, rien que pour s’offrir une vraie et profonde respiration. Ce grand bol d’air frais qui nous garantit contre la tentation facile et stérile du cynisme ou de l’ironie compassée. Juste histoire de bien s’arrimer à la terre, de patauger sans souci dans les flaques d’eau ébouriffantes, d’essayer d’être grandiose sans exiger la lune.