DÉRAPAGE INCONTRÔLÉ

((/images/derapage.JPG|derapage|L))Cher José, Troisième jour de grève de la faim déjà. Vous devez avoir un sacré creux, toi et tes potes. J’ai lu de ci de là que certains tentaient de vous tourner à l’ironie, d’y aller de leurs insinuations perfides sur un « possible coup médiatique ». Te bile pas, les gens sont comme ça, prompts à rabaisser ceux qui, par leurs actes, mettent en lumière leur cruelle impuissance à eux, leur incurable pusillanimité.

L’histoire de l’humanité ne s’écrit pas toujours avec un grand H, ni à grands coups de hache sanguinolente, mais aussi avec des petites historiettes simplettes exemplaires. Comme celle-ci est survenue tout récemment sur le tarmac d’un aéroport de campagne, à deux pas de chez moi. Pas n’importe quelle « campagne », je te l’accorde : l’aéroport de Deauville-St Gatien où la jet-set débarque en jets privés, un coin où il y a plus de chevaux de course que d’âmes humaines en peine, une région où les flambeurs richissimes des casinos de la côte côtoient sans les voir les ex-ouvrières infortunées de Moulinex. C’était il y a quelques jours. Un froid de canard congelé. Vent d’est mordant et verglas carabiné. Sur ce arrive un Boeing peinard en provenance du Maroc ramenant un flot de vacanciers à ventres rebondis. Et vloup, voilà notre gros bourdon qui part en patineuse pataude sur la piste gelée. Et pouf, le voici les réacteurs dans le gazon, l’aile gauche endolorie.  » »C’est au deuxième coup de frein que nous l’avons senti partir… un réacteur a pris feu et de la fumée est entrée à l’intérieur tandis que les hôtesses faisaient leur prière… » » Les 168 passagers terrifiés durent être évacués par les toboggans de secours. C’est là que la petite histoire devient « exemplaire ». À peine débarqués de leurs toboggans, les passagers infortunés se sont mis à brailler au scandale, à interpeler avec virulence les autorités présentes, à hurler à l’inacceptable, à réclamer des coupables, à exiger des réparations… Un petit merci au pilote qui avait su limiter les dégâts, leur sauver la vie peut-être ? Que dalle !  » »C’est inadmissible, l’avion n’aurait pas dû décoller de Marrakech… Nous avons dû attendre près de trois heures avant d’être évacués… Nous sommes informés au compte-goutte… Nous ne serons pas chez nous avant la fin de l’après-midi… Nous n’avons toujours pas dormi… » » Eh oui, mon José, on a beau savoir que de telles réactions sont légions répétitives, on est à chaque fois estomaqués. Plus ils sont sous la menace de catastrophes naturelles qui les dépassent, et plus les petits êtres humains exigent qu’on leur livre pieds et mains liés des responsables… humains ! Manière de redonner à leur espèce une primauté de façade sur tous les autres éléments, leur offrir une illusion de toute-puissance générique, façon d’exorciser la terreur existentielle qui, tel le péché originel, vrille les ventres rebondis, et faillit leur vider les intestins, comme toi et tes compagnons dans la phase préparatoire de votre grève de la faim. D’ici à ce que les pouvoirs publics nous pondent une loi répressive anti-verglas…

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.