((/images/doudou.jpg|doudou|L)) Marre ! Ah non, vraiment marre de la chose publique, de la politique, de ce merdier saumâtre dans lequel nos tristes communautés humaines sont en train de s’enfoncer ! Envie impérieuse, furieuse, de se raccrocher à des branches bien solides, à la vie tout court. Tiens, je vais vous raconter une expérience peu commune que j’ai faite avec une de mes filles, du temps où sa vie dépendait encore entièrement d’un objet difforme, gluant de salive et puant : le doudou.
À l’époque, le doudou était une vulgaire couche. Tous les gniards avaient la même. À la crèche, j’étais estomaqué de voir comment chacun(e) était capable de retrouver son torchon au milieu de ce tas de linge sale. J’ai vite remarqué qu’ils ou elles avaient plusieurs moyens de reconnaissance : la bouche, le toucher et surtout, le nez. Un jour, j’ai eu l’idée de confier à ma fille des objets appartenant à des amis de passage. Je lui ai demandé de rendre chacun d’entre eux à son propriétaire. Ce que la mioche — au moins trois ans et des poussières au moment du forfait — a réussi sans coup férir. Juste après les avoir reniflés. J’ai refait l’expérience avec des mômes de son âge : même réussite (ou presque). Puis avec des adultes de mon entourage : tout faux (à quelques heureux hasards près). Mon cerveau s’est évidemment mis à battre la chamade. Ainsi, à l’origine, le petit humain est pourvu de sens aussi affûtés que ceux de ses compères animaux. Qu’est-ce qui fait alors que les bestioles gardent les leurs malgré le sablier du temps, alors que ceux du petit humain s’atrophient lamentablement avec l’âge. Si ça n’était pas le temps, ça ne pouvait être qu’une chose : l’éducation ? De tout temps, égarées par les divagations religieuses, par la terreur de l’éphémère et de ces réalités physiques qui échappent à leur entendement, les communautés humaines ont professé une détestation farouche de tout ce qui touche à cette enveloppe charnelle, définitivement sale et misérable. Comment s’étonner alors que culpabilité et répulsion ne finissent par déboucher sur la négation des sens, leur enfouissement obstiné ? En niant les sens, seuls liens tangibles avec la réalité physique du monde extérieur, la SEULE existante, les êtres humains perdent leurs repères avec celle-ci et sombrent un peu plus encore dans la folie hallucinatoire. Regardez cette crispation douloureuse des corps, voyez ces regards vides qui vous croisent sans vous voir, voyez ces nez qui se pincent devant l’odeur de la sueur (celle qui est pourtant intimement liée aux joutes amoureuses), voyez ces oreilles qui se ferment aux vérités qui leur sont offertes, voyez ces bouches qui se tordent devant l’aspect un tantinet gluant d’un tas de doudous dans une crèche… Tout doucement, nous en arrivons à une explication imparable du merdier dont il est fait état plus haut. Un monde d’insensés, au sens propre comme au sens figuré. Rien de plus subversif que les sens. Lâchez-les, ils vous balayent en en tournemain et un immense éclat de rire la suffisance et les certitudes imbéciles des morts-vivants. Je n’ai jamais connu période plus euphorique et jubilatoire que celle des ces années soixante-dix, quand nous nous abandonnions à l’ivresse de toutes ces liberté sensuelles, sexuelles ou autres$$Nous nous sommes juste faits avoir (je ne dis pas « baiser », parce que ça, c’est plutôt agréable) quand nous avons laissé ces libertés se transformer en système.$$. Qu’en conclure sinon que la véritable révolution commence par le respect et l’utilisation prolongée, intensive et »addict » du doudou (celui que vous voulez).