LA VIE D’ARTISTE

((/images/chambre_vincent.jpg|chambre à Arles|L)) Lu dans [Rue 89|http://www.rue89.com], l’interview d’une artiste exposant à Beaubourg*. Titre de l’article, repris d’une déclaration de l’artiste en question :  » »Je voulais créer mon espace à moi. » » Une démarche artistique aux antipodes de ce qui me touche.

Je préfère la quête du monde extérieur à l’asséchante recherche du monde intérieur, à la mise en scène narcissique, par lui-même, d’un artiste qui deviendrait le principal sujet de son « oeuvre ». Qu’il est gonflé d’importance, cet  » »espace à moi » » ! Cette démarche nombrilesque, qui sévit par exemple dans une majeure partie de la littérature française actuelle, relève de l’auto-contemplation suffisante et asphyxiante. L’air frais d’oxygène que les auteurs pensent délivrer d’eux-mêmes n’est plus que gaz carbonique. La connaissance de soi-même est un passe-temps assez désolant. ///html

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/// J’ai un fort penchant pour la démarche artistique inverse, celle qui procède de l’attitude décrite dans un billet précédent ( »[Quelques instants de plaisirs|http://www.yetiblog.org/ecrire/poster.php?post_id=174] ») : l’artiste est celui qui sait se laisser envahir sans frein par le monde qui l’entoure… pour le recracher à sa façon, de la manière la plus évocatrice et la plus élégante qui soit. Abstraite, figurative, visuelle, sonore, l’oeuvre d’art est un morceau recomposé de notre monde passé au tamis de la sensibilité du « créateur ». Au bénéfice de ceux qui vont le recevoir. Un espace « à tout le monde », palpable, palpitant, offert. Lorsqu’on regarde le tableau de Van Gogh ci-dessus ( »La chambre à Arles »), ce n’est pas le monde intérieur de l’artiste qui est représenté, mais bien la chambre elle-même, l’univers immédiat extérieur, physique, de son locataire, « revisité » par l’imagination de ce dernier. De ce réduit banal, Vincent Van Gogh fait un chef d’oeuvre bouleversant. Et quand Picasso peint Guernica, c’est une tragédie humaine qui nous étreint. Les impressionnistes peignaient « sur le motif » pour mieux s’en pénétrer. Et Picasso crachait sa vie à raison de deux ou trois tableaux par jour. Que nous connaissions un artiste à travers son oeuvre est une chose, mais ce n’est pas forcément dans les visées de l’artiste. En peignant sa chambre, Van Gogh ne se préoccupait probablement pas de nous parler de lui-même, juste de nous montrer cette foutue chambre. ///html

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/// Cette  »artistic attitude » concerne, je pense, chacun d’entre nous. Prenons l’exemple du langage, qui est souvent notre moyen de communication favori. Les mots ont divers usages, parfois contradictoires. Ils servent à expliquer, à transmettre, à communiquer, dit-on. C’est l’objectif du discours. Mais le discours, dans son unilatéralité, tend à devenir un outil de prise de pouvoir par l’orateur sur ceux qui sont cantonnés à l’écoute. Le langage est aussi une barrière. Je connais bien des gens qui se barricadent derrière une muraille de mots qu’ils habillent d’humour ou de sciences prétendument indiscutables. Égocentrisme forcené ou peur panique du monde alentour ? Sans doute un peu des deux. Le langage comme véritable instrument de communication et d’échange n’est pas si fréquent. Il n’assène pas, ne vend pas, n’éduque pas, n’impose pas un point-de-vue. On ne parle pas pour être connu, mais pour que ceux qui vous écoutent aient une chance de se reconnaître eux-mêmes, à travers vos propos, vos textes, vos oeuvres picturales ou musicales. Inutile de vous faire un dessin sur la somme de délicatesse et d’attention que cette démarche proprement artistique exige. Les mots, les oeuvres d’art, ont-ils besoin d’un sens ? Pas forcément. Je suis frappé de l’importance du langage que l’on délivre aux jeunes bébés. Le sens des mots, bien évidemment, leur échappe encore. Mais la musique des mots, le rythme et l’intonation des paroles, les bercent, les enchantent, les font hurler d’excitation ou trépigner de rage. Je suis persuadé que chacun d’entre nous sait au fond de lui-même qu’il en est de même avec les « grands » de sept à soixante dix-sept ans (et des poussières).  » »Le langage est une peau, je frotte mon langage contre l’autre, c’est comme si j’avais des mots au bout de mes doigts, des doigts au bout de mes mots, mon langage tremble de désir ! » » (Roland Barthes –  »Fragments d’un discours amoureux ») Notre vie « artistique » est affaire de « frottements », acceptés et partagés. —- ///html Notes

* Annette Messager, exposition « Les Messagers », Centre Pompidou jusqu’au 17 septembre 2007. Son interview dans Rue 89 est ici ///

A propos de Pierrick Tillet 3377 Articles
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