((/images/Guy Moquet.jpg|Guy Môquet|L)) Il a fait très fort notre nouveau président lorsque, à peine passée son élection, il a annoncé sa première décision : faire lire dès la prochaine rentrée scolaire à tous les lycéens de France la bouleversante lettre d’adieu de Guy Môquet* à sa famille. Du coup le malin, toujours en période de séduction jusqu’aux législatives, a bouclé le bec à ses opposants qui ne savent pas trop comment réagir face à une initiative aussi peu contestable. Sans doute auraient-ils pu faire remarquer que ce n’est pas dans la famille d’un quelconque résistant survivant genre Aubrac, Germaine Tillion, Lise London ou l’allemand Stéphane Hessel, que notre vibrionnant président avait choisi d’aller se reposer. Non, déjà privatisé sitôt élu, il leur a préféré le yacht luxueux d’un célébrissime héritier du grand patronat français.
Or je vous mets au défi de me trouver un seul de ses banquiers et patrons français qui ait seulement fait bonne figure dans les réseaux de résistance de l’époque. Eux et les autorités de droite firent au contraire preuve d’un zèle d’acrobate pour voler à l’aide de la puissance nazie. » »Plutôt Hitler que le Front populaire ! » » tel fut leur credo. C’est que leur but premier était d’écraser les salaires, de faire un sort à ces maudits congés payés et aux quarante heures que venaient d’obtenir ces fainéants d’ouvriers français. Ils n’attendirent même pas le déclenchement des hostilités pour manifester leur empressement. Dès le début des années 30, grandes entreprises et banques (la Banque de France, notamment, en 1933) collaborèrent ouvertement ou par officines écrans interposées avec leurs voisins de l’Allemagne hitlérienne**. Ces comportements serviles et intéressés ne sont pas propres à la seule période de la Seconde guerre mondiale. Des exemples similaires de collusion abondent dès la » »der des der » », celle de 14-18. Et que dire des rapprochements troublants avec la situation d’aujourd’hui ? Remplacez les quarante heures par les trente-cinq heures, voyez les contrats signés sans aucun problème de conscience par nos puissants avec des dictatures comme la Chine ou la Birmanie. Ils y vont en choeur, épaulés par nos gouvernants, au nom de la sacro-sainte croissance et des intérêts »supérieurs » de la nation. Ah, ce souvenir de la patronne des patrons, Mme Parisot voilée de la tête au pied, et Mme Jacques Chirac en abaya noire, tentant en vain de vendre quelques avions Rafale à l’Arabie Saoudite (lundi 6 mars 2006). Non, rien ne saurait les arrêter. Et Guy Môquet a bon dos. Le maréchal Pétain en son temps, avança lui aussi ses hauts faits d’armes de Verdun pour faire passer aux masses son laxatif de la honte : ils en chièrent sur le Juif, bouc émissaire pratique du moment. Dictature et guerre sont les points d’aboutissement du développement néo-libéral, » »une tentative de prolonger la vie du capitalisme par les moyens les plus bestiaux et les plus monstrueux, » » disait Léon Trotski avant d’être assassiné en 1940. Dans ce voyage à travers le temps, on retrouve les mêmes tragiques ingrédients : militarisme forcené (Irak, Afghanistan, Moyen-Orient) et colonialisme (financier) à l’extérieur, répression et attaques sociales à l’intérieur. Nous en sommes là. Mais me direz-vous, » »que fait le peuple ? » » Dans ces périodes troublées où pointe le désarroi, le ‘peuple’, comme ses dirigeants, plonge de l’autre côté de la barrière du rationnel, se raccroche comme il peut aux maigres branches réchauffées qu’on lui tend : travail, famille patrie. Ça a beau avoir déjà servi, et très mal, l’effarement ambiant obscurcit la raison et le sens du discernement. Pour couronner le tout, lui reste, au bon peuple, à se trouver le guide suprême, le chefaillon d’opérette qui lui fournira quelques dernières illusions de grandeur. Celui-là fait du jogging. Je n’ai aucune illusion sur la portée de mes propos, sur l’appel au réveil des consciences. Les tabous ont été pulvérisés. Beaucoup d’entre nous ont noté qu’autour d’eux, nombreux étaient ceux qui »se lâchaient ». Rarement dans le bon sens. Nous sommes embarqués dans un engrenage que nous ne maîtrisons plus. Il y a fort à parier qu’il nous faudra désormais atteindre le fond avant de remonter. Cela ne doit pas nous décourager de poursuivre notre oeuvre de résistance. Sans pleurer, ni gémir. Délimitons nos territoires avec obstination. Viendra le temps où ces quelques traces trouveront leur importance et leur signification. Que les enseignants prennent au mot notre président et lisent à toutes leurs classes la lettre de Guy Môquet. À 17 ans, celui-ci aurait été un de leurs élèves. Qu’ils lisent la lettre, mais qu’ils en éclairent véritablement le contexte et n’oublient pas de déchirer l’hypocrite image d’Épinal dont on essaie d’entourer le martyr de ce jeune homme et de beaucoup des siens. Au début des années 40, Guy Môquet et ses amis de l’ombre étaient bien seuls, eux aussi***. —- ///html Notes
* La lettre de Guy Môquet avant d’être fusillé en 1941 par les Nazis pour avoir été un des 50 Français désignés en représailles à l’occupant allemand par le gouvernement du Maréchal Pétain :
mon tout petit frère adoré,
mon petit papa aimé,
Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose. Je n’ai pas eu le temps d’embrasser Jean. J’ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable, je ne peux le faire hélas ! J’espère que toutes mes affaires te seront renvoyées elles pourront servir à Serge, qui je l’escompte sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t’ai fait ainsi qu’à ma petite maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j’ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m’as tracée.
Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j’aime beaucoup. Qu’il étudie bien pour être plus tard un homme.
17 ans et demi, ma vie a été courte, je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c’est d’être courageuse et de surmonter ta peine.
Je ne peux en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, en vous embrassant de tout mon cœur d’enfant. Courage !
Votre Guy qui vous aime.
** On trouvera maints exemples concrets de cette collaboration dans l’ouvrage Industriels et banquiers sous l’Occupation par l’historienne Annie Lacroix-Riz (éd Armand Colin 1999).
*** Mais quand même, à la fin, morts ou vifs, c’est eux qui gagnent. ///