BRAS D’HONNEUR !

((/images/honneur.jpg|bras d’honneur|L)) — T’oublies tout de suite, papa, vu ce que je gagne aujourd’hui, je n’ai AUCUNE conscience professionnelle. AUCUNE ! — (…) — Et non seulement je n’ai pas la moindre conscience professionnelle, mais je n’aurai de cesse de les gruger dès que je peux ! Sans au-cun re-mord.

— (…) — Ne crois pas que je sois la seule à penser ainsi, ne le crois surtout pas. J’ai vingt-cinq ans. Moi et mes amis, ça fait des années et des années qu’on écoute vos sornettes, vos grandes tirades, vos promesses de lendemains qui chantent… Et que vois-tu venir, Anne, soeur Anne ? RIEN ! — Euh … — Laisse-moi parler, s’il te plaît ! Ne me fais surtout pas le coup de la culpabilité et du non-respect, des mérites de la volonté et de la nécessité de se battre, ces mots qui te gonflent la bouche alors que toi-même n’en crois rien ! Je respecte parfaitement ceux qui m’entourent, tous ces gens qui en bavent. Mais les autres, les prêcheurs repus, les ensorceleurs de serpents à cravate, les ressasseurs de leurres à couillons, je les emmerde, mon cher papa ! — (…) — Tu m’as dit qu’il fallait que je m’inscrive, que j’ai ma carte d’électrice, que c’était la seule façon de faire passer mon point de vue, d’imposer mes idées, de peser sur les leurs. Je l’ai fait. Faut-il maintenant que je te trace un topo de la situation ? — (…) — C’est reparti comme en 2002 et sans doute comme bien des fois avant ! À ma droite, un roquet suffisant qui jette en l’air des promesses comme on égrène un chapelet, mais n’a évidemment l’intention d’en tenir aucune. À ma gauche (juste parce qu’il n’y a plus suffisamment de place à droite), une bourgeoise empruntée et étriquée qui mange ses dossiers et se contente de débiter des lieux communs, toujours les mêmes, sur je ne sais quel pacte fumeux entre « elle » et les Français, sur le retour de je ne sais quelle confiance. Au centre, surgi comme un lapin d’un chapeau, le grain de sable de service façon potage fade qui finit par paraître épicé tant le reste du brouet est insipide. Et autour, un gros facho qui engrange sur les ruines, et quelques petits grelots éraillés jouant les faire-valoir en pure perte. — Mais… il reste… — Oui, je sais, il reste ton José Bové. J’ai même fini par signer la pétition pour sa candidature comme tu m’y incitais. Il est plutôt sympa, ce Bové. Mais je ne voudrais pas dire, je l’ai vu à la télé, il faudrait qu’il voit à être un peu plus offensif. Et qu’il oublie un peu ses OGM pour parler du reste. On a presque l’impression que lui-même n’y croit pas. Et puis il y a cette histoire foireuse de parrainages qu’on vous refuse… — (…) — Tu vois, on est des milliers à s’être inscrits sur les listes électorales cette année. On était prêts. Toi-même dit que ça t’a surpris. On était prêts, décidés. Mais vous, on n’a pas l’impression que vous l’étiez. Pas suffisamment (cette histoire ridicule de « gauche unitaire », à pleurer !) — (…) — T’inquiète pas, mon papa, on n’est pas si désespérés. D’abord, on ne sait pas trop ce qu’on va faire pour ces élections. Peut-être vous surprendre. Mais même si on ne peut rien, en attendant des jours meilleurs, il nous reste quelques combines bien à nous pour blouser les gros cons qui essaient de nous embrouiller avec leurs valeurs frelatées. ………. Je n’avais pas réussi à sortir un traître mot. Gorge trop nouée. Quand mes cordes vocales furent de nouveau en état de bruire, c’était trop tard, ma fille était partie en claquant la porte.

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Un voyageur à domicile en quête d'une nouvelle civilisation.