((/images/bus.jpg|bus brûlé|L)) Alors voilà, les mouvements de révoltes resurgissent en banlieues. Et à chaque fois, ce sont les mêmes réactions de désarroi et d’effroi, les mêmes tourbillons d’incompréhension, de colère, de condamnations sans appel. Pourquoi ? Oui, pourquoi s’attaquer ainsi à son propre territoire, s’en prendre à ses propres services publics, faire des victimes parmi la population de sa propre communauté, comme cette malheureuse jeune fille gravement brûlée dans l’incendie criminelle d’un autobus à Marseille ? Pourquoi ? Je suis étonné de cet étonnement. Ces explosions de violences, qualifiées de « gratuites » par beaucoup, ont toujours été endémiques à tous les ghettos du monde, des favelas brésiliennes au Bronx américain, en passant par les Soweto sud-africains et bien d’autres. Nul n’y échappe jamais.
Quand le tissu social est pulvérisé, quand l’image sociale gratifiante que chacun peut renvoyer de lui-même est déchirée, alors l’être humain quel qu’il soit cède à une pulsion d’autodestruction, d’automutilation. C’est le locataire qui urine et défèque dans la cage de son propre escalier. C’est le SDF qui se ronge au mauvais alcool. C’est le jeune des cités qui hurle sa haine et se répand en gestes irréparables. C’est le désespéré qui s’immole en recherchant les caméras. Dernières manifestations spectaculaires d’existences massacrées. La recherche d’un mobile logique, « raisonnée », à ces manifestations de désespoir est tout à fait vain. Qu’on soit bien clair : il n’est ici question que d’expliquer, de comprendre. Certainement pas de justifier, encore moins d’absoudre. Ce qui est arrivé à la jeune fille brûlée de l’autobus marseillais est totalement dégueulasse, insupportable, condamnable. Mais la multiplication des déclarations vengeresses, les anathèmes définitifs, les fatwas bien-pensantes contre ces « sauvageons » insurgés suscitent tout autant le malaise. Quand elles ne témoignent pas de l’effarement de populations dépassées par l’évènement, ces réactions de rejet dissimulent souvent de sombres manœuvres de récupération politicienne, comme celles entreprises sans le moindre scrupule par l’actuel ministre de l’Intérieur. Car les voies démagogiques de la répression aboutissent toujours à l’effet inverse de celui recherché. En permettant toutes les surenchères dans la provocation, elles deviennent l’ultime moyen pour les naufragés des ghettos de se confronter, j’oserais dire enfin d’égal à égal, à ce monde « civilisé » qui les rejette. Et ils en rajoutent autant que faire se peut. Pour étouffer l’incendie, d’aucuns préconisent une solution financière, un apport de moyens donnés à ceux qui essaient tant bien que mal de gérer une situation périlleuse (éducateurs spécialisés, associations impliquées dans la vie des « quartiers »…) Solution nécessaire, mais insuffisante. L’argent ne fait d’ailleurs pas toujours défaut dans ces ghettos. Car la nature a horreur du vide. Et sur ces quartiers désertés par l’économie officielle, s’est enracinée une économie parallèle faite de trafics en tout genre. On y retrouve souvent les signes de richesses habituels, les grosses BMW ou assimilées, le Perfecto tout cuir et la paire de Nike dernier cri. Mais vous pouvez multiplier tous les signes de richesses possibles et imaginables, tant que vous les cantonnerez dans des ghettos, vous fermenterez les mêmes frustrations, les mêmes rancœurs, les mêmes colères, les mêmes explosions. La situation actuelle est d’autant plus périlleuse que le désarroi ne se cantonne plus aux « quartiers ». Où est-elle l’image valorisante de l’ouvrier que structurait autrefois un Parti Communiste et des syndicats tout puissants ? Où sont-elles les raisons d’exister du RMIste, du chômeur culpabilisé à longueur de journées, du travailleur en contrat précaire, du cadre surexploité ? La vérité est que nous marchons sur des brûlots. Que ces brûlots peuvent déboucher à tout instant sur des déflagrations incontrôlables, irraisonnées. Les solutions politiques, économiques ou financières existent. Elles passent par l’école, une politique de la ville suffisamment ouverte, une redistribution des richesses, une restauration de l’équité sociale… Les 119 propositions de la Gauche sociale en offrent une ébauche intéressante. Mais elles ne suffiront pas. Il faut aussi une prise de conscience individuelle de chacun d’entre nous pour que soient recollés tous ces fragments d’images déchirées, que soient décloisonnés ces ghettos asphyxiants.